Prendre en charge l’addiction des jeunes au cannabis, un enjeu de santé publique

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Mis à jour le 15/09/2021 | Publié le 19/04/2017

La France est la championne d’Europe de la consommation de cannabis chez les jeunes. A Marseille, des soignants au centre du dispositif de soin reviennent sur l’importance de prendre en charge cette addiction et de s’en donner les moyens.

Dans son bureau à l’écart de l’effervescence du Tribunal de Grande Instance de Marseille, Florence Soulé reçoit les jeunes orientés par la justice après une arrestation pour possession ou consommation de substances psychoactives. Une consultation qui leur permet souvent d’éviter une condamnation. Au sein de l’association Addiction Méditerranée à laquelle elle appartient, une partie du public accueilli, moins de 30%, est orientée vers leurs centres dans le cadre d’une contrainte pénale.

Pour le reste, le travail de réseau avec des centres sociaux, des établissements scolaires ou des associations de quartier, favorise de plus en plus de démarches volontaires. En 2015, Addiction Méditerranée a accompagné 302 jeunes de 13 à 25 ans à travers ses quatre centres. Ils sont suivis principalement pour consommation de cannabis (88%), dans une moindre mesure de tabac (3%), d’alcool (2%) et de cocaïne (2%). La France occupe la première place du podium européen en terme de consommation de cannabis chez les jeunes. L’usage fréquent du cannabis parmi les jeunes scolarisés de 16 ans atteint 24%, contre 15% en Espagne ou 12% en Italie d’après une étude parue en 2012. A 17 ans, un adolescent sur cinq consomme du cannabis plus de dix fois dans l’année, et 15% plusieurs fois par semaine .

Des doses régulières et élevées entrainent des effets neurologiques
Depuis 2004, des centres Consultation Jeunes Consommateurs (CJC) ont été créés. Celui où travaille Florence Soulé est situé dans le quartier des Réformés à Marseille. « On se disait : ils sont où les jeunes ? », se rappelle la psychologue. Une prise en charge tardive qu’il faut resituer dans l’histoire générale des drogues. «Au départ, le consommateur est un baba cool. Puis, l’héroïne et le mouvement «no future» apparaissent. L’apparition du Sida change tout. La prise en charge se médicalise», explique-t-elle dans son bureau calme, à l’écart de l’animation de la rue. «Dans ce contexte, le cannabis n’était pas la priorité par rapport à l’héroïne et aux dommages qu’elle cause. Aujourd’hui, les professionnels sont au courant, question de génération. Avant, on avait l’impression que le jeune en savait plus que nous sur les drogues». Les CJC, devenus en 2016 Consultation Jeunes et Intervention Précoce, accueillent gratuitement et de manière confidentielle les jeunes consommateurs de substances psychoactives ou ayant des problèmes avec les écrans. Elles permettent d’effectuer un bilan des consommations, d’apporter une information et un conseil personnalisé, d’aider si possible en quelques consultations à arrêter la consommation, de proposer un accompagnement à long terme ou d’orienter vers des services spécialisés. Une prise en charge primordiale quand il s’agit des jeunes, car avant 15 ans le cannabis peut avoir des conséquences sur le développement du système nerveux.

Karine Bartolo est psychiatre addictologue à Marseille. Elle reçoit notamment des jeunes en consultation dans un bâtiment dédié au sein de l’hôpital de la Conception de Marseille. Au niveau psychiatrique, le principal problème du cannabis est son effet sur la schizophrénie. C’est l’une des causes principales de consultation dans son service. «Une fois que la maladie est apparue, elle est aggravée par l’usage du cannabis et n’est plus accessible au traitement. Le contrôle des affects diminue», explique-t-elle. Des recherches ont montré que les troubles cognitifs liés à l’usage du cannabis sont corrélés à la dose, à la fréquence, à la durée d’exposition et à l’âge de la première consommation. «Consommé avant 15 ans, le cannabis peut avoir des effets sur le système nerveux qui grandit jusqu’à l’âge de 25 ans». Des doses régulières et élevées entrainent des effets neurologiques avec une augmentation de la dopamine et une diminution de la sérotonine. Des neuromédiateurs qui influence notre humeur, et jouent notamment sur l’anxiété. «Le cannabis peut aggraver des éléments dépressifs et faire apparaître le syndrome amotivationnel », complète la spécialiste. «Chez les jeunes, on compare l’usage du cannabis à l’entrée d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Le magasin étant le système neurologique». La fumée de cannabis passe rapidement dans l’organisme. Il se fixe dans les graisses et relargue pendant 24 à 48 heures. L’élimination se fait lentement. «Si le système nerveux est en pleine croissance, le cannabis modifie le dosage naturel des cannabinoïdes présents dans notre cerveau et des neuromédiateurs. Les jeunes iront moins à l’école, ils auront moins de motivation dans leurs projets».

Au-delà de la consommation, identifier pourquoi on fume
Pour traiter cette addiction, toute la question est d’abord de comprendre dans quel cadre un jeune consomme du cannabis. Pour pouvoir arrêter il faut d’abord identifier pourquoi on fume : «par plaisir, pour se détendre, pour faciliter ses relations, pour tromper l’ennui ou éviter d’affronter les problèmes», interroge l’un des guides que Florence Soulé distribue aux jeunes qui viennent consulter.

Le risque majeur n’est pas uniquement la dépendance, mais aussi l’usage nocif ou l’entrée dans des conduites qui découlent de cet usage, comme l’échec scolaire, la fugue, la rupture des liens familiaux, la délinquance, les troubles des conduites alimentaires ou les tentatives de suicide. Bien souvent, ces conduites à risque, spécifiques à l’adolescence et à l’entrée dans le monde adulte interagissent et se renforcent entre elles. «Il ne s’agit pas de traiter seulement de la dépendance, ou du produit, mais surtout de faire un suivi. Ce sont des jeunes qui ne vont pas bien. Il est aussi question de contexte car les facteurs aggravants de la consommation de drogues sont à chercher du côté de la situation médico-psycho-sociale», raconte la psychologue qui s’appuie sur des documents de travail canadiens pour mettre les jeunes en confiance.

80% des consommateurs de cannabis arrêtent finalement, mais la prise en charge est plus longue, car il faut d’abord faire admettre qu’il y a un problème : «Le jeune public n’est pas forcément collaborant, il est en pleine période de révolution psychologique, physique et physiologique. Il s’agit de mettre en place une relation de confiance et d’écoute pour avancer dans le soin en créant une collaboration et un accord», explique Sébastien Guerlais, infirmier présent une demi-journée par semaine dans le CJC des Réformés. Son rôle est alors de discuter de l’état de santé générale, du bien être, du sommeil ou de l’alimentation. Il évoque aussi les produits, leur consommation et leurs effets. Le but est en effet d’informer, au-delà du caractère licite ou illicite des drogues, sur les substances et leurs effets. L’équipe est à l’écoute. Les locaux de l’association offre des bureaux pour discuter en toute discrétion ou des espaces communs pour échanger.

L’usage du cannabis mérite d’être dédramatisé afin de prendre en charge les cas les plus critiques et de donner les moyens à l’Etat de contrôler des taux de concentration dans les produits vendus.

karine bartolo, psychiatre addictologue



Mener une action étatique spécifique pour sortir du « cycle infernal »

Quand les enfants refusent de venir consulter, le suivi se fait seulement en relation avec les parents. Ce jour-là, une mère de famille est venue seule avec son plus jeune fils qu’elle laisse jouer dans la pièce à vivre. Son aîné avait rendez-vous mais il ne s’est finalement pas présenté. «Cela permet de comprendre ce qui ne va pas, et d’orienter pour que ça aille mieux», explique Florence Soulé. «Les consommateurs sont de toutes origines sociales, ce qui va faire la différence ce sont la demande et l’accès au soin», complète la psychologue. Selon ces professionnels, l’accès aux jeunes étant parfois difficile, et la consultation peu spontanée, pour rendre la prise en charge plus efficace, il serait primordial de prévoir des visites à domicile, afin de connaître les jeunes dans leur environnement. Une politique qui nécessite un budget conséquent.

Aller plus loin dans la prise en charge des jeunes face au cannabis c’est aussi prendre en compte l’urgence de sortir d’un cercle infernal pour Karine Bartolo : «La répression de l’usage de la loi de 1970 ne fait qu’aggraver la situation. En France, les jeunes consomment plus et plus tôt par rapport au reste de l’Europe. L’usage du cannabis mérite d’être dédramatisé afin de prendre en charge les cas les plus critiques et de donner les moyens à l’Etat de contrôler des taux de concentration dans les produits vendus ». Des taux qui sont passés de 12 à 16% en dix ans selon les chiffres de l’Institut National de Police Scientifique*. «Le cannabis n’est pas plus addictogène que le tabac si sa consommation et sa concentration en THC sont acceptables. C’est un produit plus insidieux. On ne meurt pas d’une overdose de cannabis. Il est plus difficile de mesurer l’impact par manque de signe clinique. Tout dépend de la fréquence, de la concentration et de la manière de consommer». Des caractéristiques qui méritent une action étatique spécifique selon Karine Bartolo, pour éviter la déscolarisation et limiter la consommation des jeunes. C’est en partie pour cela que la psychiatre a pris part à l’appel de 150 personnalités marseillaises dans le Journal Du Dimanche du 8 janvier 2017 qui appelle à une légalisation contrôlée du cannabis .

*http://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/cdeconse.pdf
*« Drogue et dépendance, livret d’information INPES »
*http://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/cdeconse.pdf
*OFDT/TREND septembre 2013 http://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eisxmgta.pdf
*http://www.lejdd.fr/Politique/TRIBUNE-Cannabis-150-personnalites-marseillaises-demandent-la-legalisation-controlee-838090