En Méditerranée : non-assistance à personnes en danger

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Mis à jour le 17/10/2020 | Publié le 28/02/2019

Depuis 2015, année marquée par les images provenant des côtes et des frontières européennes où des centaines de milliers de personnes fuyant leurs pays sont arrivées via la Méditerranée, des initiatives de sauvetage ont fleuri. En Allemagne, en France, en Espagne des citoyens ont décidé d’aller porter secours en mer aux personnes fuyant l’Afrique subsaharienne, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Aujourd’hui, ces initiatives doivent faire face aux politiques européennes de fermeture des frontières.

« Plus de 2 250 personnes sont mortes en Méditerranée en 2018 et plus de 15 000 depuis 2014 », peut-on lire aujourd’hui dans les différents rapports de l’Office international des migrations (OIM) et dans les médias. Ce chiffre représente les personnes identifiées mais ne prend pas en compte les personnes dont l’embarcation a disparu sans laisser de traces avec à son bord 100 à 150 personnes poussées à la mort par les passeurs Libyens et Africains. Sans gilet de sauvetage, il ne faut pas plus d’une minute à une personne ne sachant pas nager pour rejoindre les profondeurs des eaux agitées de la Méditerranée. En haute mer, les marins sauveteurs de différentes ONG témoignent des conditions périlleuses auxquelles ils font face malgré les entraînements. A bord des embarcations de fortune, la majorité des personnes n’a pas de gilets de sauvetage et ne sait pas nager. Le moindre mouvement de panique peut faire chavirer le pneumatique qui parfois est déjà en train de couler.

En Méditerranée centrale entre la Libye et l’Italie, les marins sauveteurs à bord du bateau Aquarius, affrété par les ONG SOS Méditerranée et Médecins sans frontières, ont tendu la main à 29 523 personnes entre avril 2016 et septembre 2018. Elles ont été débarquées ensuite, comme la loi le prévoit, dans le port le plus sûr et le plus proche, en Italie. Mais lorsqu’au mois de juin 2018 ; le ministre de l’Intérieur italien Matteo Salvini fraîchement élu décide de fermer les ports des îles siciliennes, les opérations de sauvetage se compliquent. Les bateaux de secours sont mis en déroute, attendant parfois plusieurs jours avec à leur bord des dizaines voire des centaines de personnes, qu’un pays européen accepte d’accueillir les rescapés.

ONG bloquées en Méditerranée
En juin 2018, l’Aquarius tournera ainsi en rond une semaine en haute mer avec à son bord 630 personnes secourues au large de la Libye. « C’était inhumain, les personnes que l’on secourt restent en principe un à deux jours. Elles sont prises en charge au niveau médical, alimentaire, sur le pont du bateau. Nous ne sommes pas un hôtel. Au terme de quelques jours nous n’avions plus assez de nourriture. Les personnes devaient attendre durant deux heures le matin pour aller aux toilettes et trois heures pour recevoir un bout de pain, sous un soleil de plomb, ou sous les vagues de 4 mètres quand une tempête est survenue. Nous avions honte. Honte de nos pays européens », confie l’un des marins sauveteurs lors d’une conférence de presse inédite à Marseille, où pour la première fois les marins se sont exprimés sur les conditions de sauvetage. Finalement, l’Espagne située à quatre jours de navigation a donné son feu vert, et les 630 personnes ont été débarquées au port de Valence. Puis ce fut le tour de deux ONG allemandes. En janvier 2019, elles affrètent deux bateaux, le Sea Watch 3 et le Sea Eye. Ces bateaux ont été bloqués respectivement 7 et 14 jours avec 32 et 17 personnes à leur bord. Malte a accepté le débarquement des 49 personnes sur son île avec un accord de répartition des personnes prévu en amont par l’Europe. La France a accueilli ainsi 47 personnes considérées comme étant réfugiées et éligibles à l’asile par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) dépêché à Malte. Elles ont été réparties ensuite dans trois régions françaises du Grand Est. Parmi eux, une majorité d’Erythréens, six Soudanais et deux Somaliens.

Contraintes, les ONG ont déserté
A ce jour, seul le bateau de l’ONG allemande Sea Eye est reparti en Méditerranée centrale le 21 février 2019 pour effectuer des sauvetages. Sur les huit ONG opérant par intermittence depuis 2014 en Méditerranée, seul l’Aquarius, bateau de 77 mètres et d’une capacité d’accueil de 400 personnes (900 en situation extrême) était sur zone toute l’année avec une équipe de 30 personnes, équipage, salariés de Médecins sans frontières et marins sauveteurs. Mais aujourd’hui, il ne navigue plus (voir encadré). L’ONG SOS Méditerranée qui l’affrétait est à la recherche d’un nouveau bateau et d’un armateur qui acceptera sa mission. Selon le rapport 2017 des garde-côtes italiens, les ONG ont effectué 26 % des sauvetages en 2016 et 41 % en 2017. Les sauvetages sont également assurés par les bateaux circulant en Méditerranée, tels que l’agence Frontex (police des frontières européennes) dont les moyens ont été renforcés pour 2019, par les bateaux de commerce qui transitent en Méditerranée centrale et par les bateaux militaires présents dans cette zone. Selon la loi maritime, tous ont l’obligation de porter secours aux embarcations et aux bateaux en détresse repérés par les centres de coordination. 426 361 personnes ont ainsi été secourues par ces différentes entités, dont les bateaux des ONG, en 2015. Cependant, en l’absence de bateaux humanitaires témoins et rapporteurs de la situation en mer, il est difficile de savoir réellement le sort réservé aux personnes actuellement secourues, par ces autres bateaux soumis au durcissement des politiques migratoires européennes, et celles qui sont en détresse sans bateau de sauvetage à proximité.

En mer, comme le prévoit le droit maritime, les ONG suivent les directives des pays ayant déclaré la création de leur propre zone de recherche et de sauvetage (SAR en anglais) inscrit à l’organisation maritime internationale. Ils sont donc aptes à détecter les embarcations ou à recevoir des signaux de détresse et à coordonner les opérations de sauvetage pour intervenir dans des zones Search and Rescue (SAR). Jusqu’en 2018 en Méditerranée centrale, dans les eaux internationales entre la Libye et l’Italie, cette mission était assurée par le centre de coordination de Rome, le Maritime Rescue Coordination Center (MRCC). Les gardes-côtes italiens assuraient quant à eux 50 % des sauvetages dans leurs eaux territoriales. A la suite de la fermeture des ports italiens et de la volonté européenne de confier cette tâche aux Libyens, la Libye a déclaré la création de sa zone SAR. Depuis 2017, la Libye est désormais en charge du repérage des embarcations en détresse et de la coordination des sauvetages sur ses eaux territoriales et au-delà. Des opérations menées depuis le MRCC basé à Tripoli.

En 2015, l’accord de Malte signé par l’Union Européenne a financé des équipements afin que les garde-côtes libyens empêchent les traversées, et des formations pour le sauvetage. Les Libyens assurent donc des « sauvetages » qualifiés plutôt d’interceptions par les ONG témoins de scénarios catastrophiques où des réfugiés préféraient se jeter à l’eau et mourir plutôt que de retourner en Libye. D’autre part, les bateaux humanitaires ont à plusieurs reprises signalé l’absence de réponse du centre de coordination libyen dans des situations de crise. Ces réalités posent de véritables contradictions et le non respect des conventions des droits de l’Homme et du droit maritime qui prévoient l’assistance aux personnes en danger et le débarquement dans un port sûr. Pourquoi des personnes migrantes fuyant la Libye où il est avéré qu’elles subissent des tortures, des viols et des enlèvements pour rançons seraient-elles obligées d’y retourner ? Le fait de remettre aux mains de la Libye, pays instable où sévissent des milices à tous les niveaux des instances sécuritaires du pays, va à l’encontre de la condition du port sûr prévu par le droit maritime : « Un endroit où la vie des survivants n’est plus menacée et où leurs besoins humains fondamentaux tels que la nourriture, le logement et les besoins médicaux peuvent être satisfaits ». Or, en septembre 2018, l’ONU réaffirme que « la Libye ne remplit pas les critères pour être désignée comme un lieu sûr aux fins du débarquement après un sauvetage en mer ». Pourtant, la France va livrer six embarcations à la marine libyenne à partir du printemps prochain a annoncé le ministère des Armées, et l’UE semble bien déterminée à poursuivre sa politique d’endiguement des réfugiés dans les pays de départ et de transit comme la Libye, le Maroc et le Niger.

Situation SOS Méditerranée

En novembre 2018, suite à une enquête prolongée du bureau du procureur de Catane, la justice italienne demande la mise sous séquestre du bateau Aquarius loué par l’ONG SOS Méditerranée et amarré à Marseille.
En cause, un défaut de gestion des déchets à bord du bateau dont a la charge l’organisation MSF Belgique qui emploie 10 humanitaires à bord afin d’apporter les soins médicaux auprès des personnes rescapées à bord de l’Aquarius.
Accusation : Mauvais traitement intentionnel des déchets visant à en tirer un profit financier dans le cadre d’un « projet criminel ».
Après chaque sauvetage et avant la fermeture des ports italiens, SOS Méditerranée sous les ordres du centre de coordination de sauvetage à Rome, débarquait les personnes migrantes rescapées sur les îles italiennes (ports les plus sûrs et les plus proches imposés par le droit maritime) où elles étaient ensuite prises en charge par les autorités italiennes et les ONG à terre. Les vêtements, restes alimentaires et médicaments utilisés par les rescapés débarqués sur le sol italien représenteraient un danger pour la santé publique italienne. Médecins sans frontières (MSF) assure dans un communiqué que l’ONG a toujours suivi les procédures en vigueur et que les autorités compétentes ne l’ont jamais interpellée sur le sujet depuis 2015, date du début de ses opérations de secours en mer. SOS Méditerranée « condamne fermement cette nouvelle tentative de criminalisation de l’aide humanitaire en mer et la demande de saisie préventive de l’Aquarius » et réfute les accusations de participation à des activités illégales. MSF fait appel.
Suite à 18 mois de criminalisation, de décrédibilisation et de diffamation contre les ONG de recherche et de sauvetage, leurs actions sont fragilisées alors que le taux de personnes mortes noyées augmente. L’ONG est contrainte de renoncer un temps au sauvetage et à son bateau l’Aquarius. « Renoncer à l’Aquarius a été une décision extrêmement difficile à prendre, mais elle permettra à nos équipes de reprendre les opérations de recherche et de sauvetage le plus rapidement possible », a déclaré Frédéric Penard, directeur des opérations de SOS MEDITERRANEE. « Nous refusons de rester les bras croisés sur le rivage alors que des gens continuent de mourir en mer. Tant que des êtres humains continueront à tenter la traversée la plus dangereuse du monde, SOS Méditerranée remplira son devoir d’assistance en répondant à l’urgence par tous les moyens professionnels possibles ». Aujourd’hui, elle recherche un nouveau bateau pour repartir en mer.

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