Diaz : la culture du recul

Rédigé par :
Mis à jour le 15/10/2020 | Publié le 07/03/2019

J’ai connu Diaz et Farid au même moment l’un rappait pendant que l’autre prenait du recul pour mieux intégrer sa culture à son art oratoire. Ces deux personnages sont Algériens mais en même temps Kabyles comme moi je suis Savoyard mais aussi Français. Pouvoir danser sur ses deux pieds identitaires c’est un honneur pour Diaz c’est ce qu’il appelle sa culture de recul, une culture refuge où Farid puise toutes les sources algériennes pour parler de maux à mots avec sa société.

Avoir une culture de recul ce n’est pas être sur le reculoir, bien au contraire c’est préserver cette âme qui synonyme Farid à la parole du peuple. Ce quotidien, Diaz le scande depuis MBS loin des idées de Mohammed ben Salmane car la tonalité de son rap ne saurait être contrainte. Farid prend conscience du pouvoir de Diaz lorsqu’un membre de sa famille lui rappelle jadis que l’abandon de sa langue Kabyle l’assignerait à l’oubli de sa profondeur mémorielle. Dès lors, commence l’apprentissage de Farid afin d’acquérir le recul nécessaire à l’écriture de Diaz.

Ces signatures musicales sont autant de ponctions historiques d’Algériens qui marchent sur les talons d’un pouvoir sans mémoire du peuple qu’ils cherchent à dissoudre. De tout temps, les généraux ont fait ou font la guerre à la culture. Cependant les histoires culturelles d’hommes et de femmes ont toujours su résister à ce déracinement inhumain. Ici, les rappeurs comme Diaz forment la ligne de front de la libération culturelle car Farid est un homme du peuple. Il parcourt la ville comme tout Algérien, observant ses balafres verticales qui injurient les petites ruelles intimes des Algériens. Cette distance est organisée par des promoteurs de l’acculturation nationale, chemin faisant leur buildings prennent la forme de leur vacuité.

Aujourd’hui, le peuple luit dans les rues d’Algérie alors que les fauteuils du pouvoir perdent la mémoire. Farid, lui, reste ici et là à l’écoute du cœur de son pays confiant à Diaz la tâche de l’irrigation des artères de la révolte expressive. Ainsi, cette masse populaire avance vers le recul de Farid qui a permis tout ce temps à Diaz la liberté de ses mots. Les Algériens font une halte à la peur car la menace du verbe autoritaire s’efface devant les rimes d’indépendance du peuple de Diaz. C’est ça la culture du recul, ce refuge intangible, incorruptible qui refait surface. Elle pousse à la création transformant les maux en jeux de mots. Plus le peuple prendra possession des mots, plus le vocabulaire du système creusera sa propre tombe.

La culture du recul, c’est aussi ces histoires d’harragas, embarqués dans une virgule flottante dans les eaux troubles d’un exil forcé mettant un point final à l’exclamation de leur vie. Farid les connait et Diaz les couchent dans son flot de mots comme un hommage à leur passage sur terre. Les parents de ces âmes perdues n’ont qu’un point d’interrogation en guise de deuil d’une jeunesse maltraitée par des esprits fous. D’autres avant ces jeunes pouces algériennes avaient pris le chemin de l’ailleurs. Ils, elles sont ici dans l’autre rive de la culture du recul, une mer les séparant de leur mère patrie qui sombre dans une dérive systémique. Pour les Algériens comme Farid, le recul de Diaz s’exprime aussi à Marseille car être bi marque la profondeur de multiples histoires d’origines algériennes diverses.

Ainsi, le recul de Farid se plait au mélange des genres car Diaz refuse d’effacer de son imaginaire les juifs berbères de l’Atlas sous prétexte qu’un croissant de lune éclipse l’Amazighe sous le joug de sa langue, l’Arabe. N’est ce pas toute cette masse de recul qui déferle sous nos yeux Farid ? Et que va devenir Diaz si le recul prend le pouvoir ? Farid va-t-il ranger au placard de Diaz les mots du recul ? La réponse à ces interrogations se trouve dans la voix du peuple qui marche en exprimant à nouveau la liberté que Diaz conte à Farid.