Gaza : une vie sous contrôle

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Mis à jour le 26/08/2021 | Publié le 23/07/2019

Depuis mars 2018, des milliers de Gazaouis manifestent presque chaque vendredi à la frontière avec Israël, dans le cadre de la “Marche du retour” (1). Encouragés par le Hamas (2) au pouvoir à Gaza, ils appellent à la levée du blocus sur l’enclave palestinienne et au retour des réfugiés dans les terres perdues lors de la Nakba (3), en 1948. Ces manifestations sont le symptôme visible d’une population à bout de souffle. Derrière les barbelés qui séparent Israël de la Bande de Gaza, depuis la mise en place du blocus il y a 12 ans, 2 millions de personnes sont confinées dans une prison à ciel ouvert. Selon les Nations Unies, si aucune mesure d’ampleur n’est prise, Gaza deviendra invivable en 2020 (4).

A l’Est de Gaza city, des centaines de manifestants sont amassés le long de la frontière avec Israël. Par dizaines, ils lancent des pierres en direction du territoire israélien et tentent de toucher la barrière frontalière. De l’autre côté, des soldats israéliens observent la scène derrière un talus de terre. Leurs gaz lacrymogènes fusent régulièrement en direction de la manifestation. Toutes les dix minutes, un coup de feu éclate, des secouristes palestiniens accourent, un manifestant est touché par balle. L’objectif des soldats : repousser les Gazaouis à tout prix. Mais face à eux, les Palestiniens n’ont qu’une aspiration, comme l’affirme un manifestant : “sortir de Gaza”.

A Gaza, la liberté s’arrête au pied du mur

Ces scènes se répètent quasiment tous les vendredis depuis le 30 mars 2018. Ceux qui prennent les plus gros risques sont souvent mineurs. Ils ont grandi avec le blocus, coincés dans un territoire de 40 kilomètres sur 10. Marqués par les guerres successives entre le Hamas et Israël (5), vivant dans la peur constante de se retrouver à la rue après un bombardement israélien, ils rêvent tous de franchir cette frontière imperméable, l’une des mieux protégées au monde. C’est le cas de Rida, 16 ans. Comme la majorité des Gazaouis (6), elle a le statut de réfugiée. “Originaire de Jaffa”, elle souhaite “retourner sur les terres familiales perdues en 1948 (7)”. Mais le blocus terrestre, aérien (8) et maritime (9) instauré en 2007 après l’arrivée au pouvoir du Hamas a mis un coup d’arrêt à la liberté de circulation. Chercher du travail hors de Gaza, rendre visite à des proches en Cisjordanie, voyager à l’étranger, des actions quasiment impossibles aujourd’hui. Israël – et dans une moindre mesure l’Egypte – empêche quasiment tous mouvements entrants et sortants de l’enclave.

Isolés du reste du monde, certains Gazaouis sont prêts à prendre des risques pour sortir de la Bande de Gaza. Mohamed, 15 ans, a été “blessé par balle alors qu’il tentait de couper la barrière frontalière”. Aujourd’hui soigné dans un dispensaire de Médecins sans frontières, l’adolescent confie que sa situation est critique. Son père, “au chômage, ne parvient pas à subvenir aux besoins familiaux”. Les dernières années, des dizaines de Gazaouis ont tenté, comme lui, de franchir la frontière en cassant la barrière, souvent pour aller chercher du travail en Israël ou en Cisjordanie.

“Il n’y a pas d’avenir à Gaza”

Au plus fort de la mobilisation, 10 000 protestataires se réunissent, sur une population totale de deux millions. La plupart des Gazaouis restent donc chez eux, mais ils n’aspirent pas moins à plus de liberté. C’est le cas d’Ameed (10), 23 ans. Au-dessus de sa maison familiale, à Beit Lahia (Nord de la Bande de Gaza), le son des avions militaires israéliens éclate tous les quarts d’heure. En fond, un vrombissement en continu. “Les drones israéliens ne s’arrêtent jamais” affirme Ameed, “ils vibrent constamment dans nos têtes”. Même sans voir les barbelés qui entourent Gaza, le sentiment d’enfermement est omniprésent.

Récemment diplômé d’un Master en ingénierie, Ameed n’est jamais sorti de l’enclave palestinienne. Son rêve, “partir en Europe. Il n’y a pas d’avenir à Gaza”. Outre le danger des frappes israéliennes, la plupart des Gazaouis veulent fuir à cause du manque de perspectives économiques. Dans l’enclave palestinienne, 54 % de la population active et 70 % de jeunes sont au chômage. L’effondrement de l’économie s’explique principalement par l’embargo imposé sur l’enclave.

Les Palestiniens doivent aussi vivre sous le contrôle du Hamas. Le frère d’Ameed, Bilal, s’insurge : “Depuis qu’il est arrivé au pouvoir, le Hamas a plongé Gaza dans le noir ! Plus d’endroits où sortir, rien pour nous amuser ! Nous devons vivre selon les principes religieux du parti. Ce n’est pas le pire : il fait régner la peur ! Les Gazaouis n’osent pas dire ce qu’ils pensent !” En mars dernier, plusieurs manifestations contre la vie chère à Gaza ont été violemment réprimées par le Hamas.

Partir à tout prix

Pour les candidats au départ, le ticket de sortie est cher : “il faut compter 1 000 dollars pour aller en Egypte” selon Bilal, “et encore, si le checkpoint de Rafah est ouvert” (checkpoint situé au sud de la Bande de Gaza, point de passage entre le territoire palestinien et l’Egypte, ndlr). Une fois sur le territoire égyptien, certains tentent la périlleuse traversée de la Méditerranée. En 2018, la moitié des Gazaouis partis en Egypte ne sont jamais rentrés à Gaza. L’autre alternative est Israël. Une poignée de Gazaouis obtiennent des permis d’entrées et certains en profitent pour ne jamais revenir.
Pour ceux qui doivent rester dans l’enclave palestinienne, la liberté, Hourieh (حرية) en arabe, est une chimère. Elle n’est plus qu’un mot tagué dans les rues de Gaza.

1 Organisée chaque année pour commémorer la Nakba. En 2018, pour le 70ème anniversaire de l’exode palestinien, elle a débuté le 30 mars, “Journée de la terre” pour les Palestiniens.

2 Les manifestations hebdomadaires, si elles sont générées en grande partie par le désespoir des Gazaouis, sont aussi en grande partie suscitées et contrôlées étroitement par le Hamas, voire interdite par ce dernier selon les circonstances.

3 “Catastrophe” en français, la Nakba commémore l’exil de centaines de milliers de Palestiniens d’Israël vers les territoires occupés ou les pays voisins.

4 Depuis le début de la mobilisation, plus de 270 Palestiniens et un Israélien ont été tués 5 2008 : Opération “Plomb durci” ; 2012 : Opération “Pilier de défense” ; 2014 : Opération “Bordure protectrice”

6 « UNRWA in Figures » , sur http://www.unrwa.org , 1er janvier 2014 (consulté le 6 janvier 2015)

7 La guerre de 1948, ou guerre israélo-arabe, a mené à la création de l’Etat d’Israël et a donné naissance au problème des réfugiés palestiniens, suite à la “Nakba” (“catastrophe” en français), l’exode palestinien de 1948.

8 Inauguré en 1998, le premier aéroport palestinien, symbole de la souveraineté palestinienne, permettait aux palestinien de se déplacer hors des territoires. Détruit en partie en 2001 (Seconde intifada) par l’aviation israélienne, il devient un champ de ruine en 2006 : 9 Au gré des tensions des factions palestiniennes locales, l’Etat hébreu réduit régulièrement la zone de circulation accordée aux pêcheurs gazaouis : http://www.rfi.fr/moyen-orient/20190613-gaza-zone-peche-fermee-marine-israelienne-tirs

10 Son nom a été modifié.

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