A la rencontre des exilés mineurs

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Publié le 01/03/2018

Pour son premier stage en milieu professionnel, Clara a choisi la rédaction de 15-38 Méditerranée à Marseille. Après avoir assisté et participé au bouclage du dossier du mois de janvier : « A travers les crises, réinventer la vie de la cité« , elle a choisi d’aller à la rencontre des exilés, migrants qui sont nombreux à déambuler dans les rues de Marseille. Certains ont la chance de trouver les citoyens mobilisés au sein du collectif El Manba pour trouver un hébergement, une aide juridique, une aide administrative, une protection en cas de risque d’expulsion et surtout une convivialité et un soutien moral indispensable à ces jeunes souvent traumatisés. Immersion avec la plume de Clara Moothoocarpen.

Rencontre avec Djibril, jeune guinéen de 15 ans

Dans le QG d’El Manba, qui se résume à une seule pièce, plusieurs personnes discutent autour d’une table. Ce sont les bénévoles qui font partis du collectif. Au fond, il y a des migrants, mineurs, assis sur des chaises, des sièges… ils mangent, échangent quelques mots. C’est le jour de la permanence judiciaire pour eux. Soudain, la porte s’ouvre : une femme et un jeune garçon entrent. Cette femme a trouvé le garçon dans la rue et l’a amené ici, en espérant que le collectif lui trouve un logement et le prenne en charge. Les forces de l’ordre auraient remis au garçon un papier ordonnant son expulsion dans un mois. Pourtant il est mineur, affirme être né en 2002. Il doit être pris en charge, c’est écrit dans la loi. Mais pourtant, les policiers n’ont pas cherché à vérifier son âge.

Au bout de la table Djibril, accompagné d’une personne qui l’héberge à Marseille, attend de pouvoir rencontrer une juriste bénévole présente tous les jeudi après-midi pour conseiller et aider les jeunes dans leurs démarches. Il est guinéen, il a 15 ans. Il est parti de son pays à cause de problèmes avec sa famille qui le mettait en danger. Nous n’en saurons pas plus. Il était en seconde. Il est passé par le Mali, l’Algérie, la Libye, l’Italie, pour arriver en France. Le projet de Djibril était d’aller travailler en Algérie et gagner de l’argent. Mais les autorités ont commencé à expulser certains migrants dans leurs pays d’origine. Il a alors choisi la Libye, ne voulant pas retourner dans son pays. Il a été placé dans un campement où les conditions de vie étaient difficiles. Il témoigne : « Nous étions tabassés, violés, on volait nos affaires, notre argent… » Il a ensuite été kidnappé, avec certains de ses camarades, par des libyens. Ils ont été enfermés, attachés… Parce qu’ils n’ont pas su dire où se trouvaient des femmes recherchées par ces hommes libyens. Ils n’ont pas été nourris durant une semaine, puis ils ont été relâchés. Il confie : « Retourner dans son pays, c’est la mort ».

Alors, avec un camarade, il a fait la traversée de la Libye vers l’Italie sur un bateau pneumatique avec 145 personnes à bord. Ils avaient seulement deux bidons d’eau pour tout le bateau. Ils ont navigué pendant deux jours puis ont été transportés jusqu’à la côte par les gardes côtes italiens. Il a été placé dans un camp où il recevait 75 euros par mois. Mais, il ne se sentait pas bien là-bas, il avait l’impression que les italiens étaient racistes et il ne parlait pas leur langue… Au bout de deux mois, il prend un train pour la France avec un compagnon. Mais quelques kilomètres après la frontière, les autorités françaises les découvrent et ils sont contraints de retourner en Italie. Néanmoins, ils n’abandonnent pas et essaient à nouveau. Lors de cette deuxième tentative, ils parviennent à passer et arrivent à Nice. Ils prennent le bus en direction de Paris, parce que les parents de son camarade y sont.

Il confie : « J’avais peur de me faire arrêter ».Des citoyens leur ont donné de la nourriture, et il a dormi chez son ami. Il est ensuite arrivé à Marseille et a dormi chez une journaliste pendant un mois puis a été recueilli chez une connaissance de la journaliste. Il a entamé des démarches : il s’est enregistré pour une prise en charge auprès de l’ADDAP 13 (Association départementale pour le développement des actions de prévention des Bouches du Rhône). Mais ils lui ont annoncé qu’il n’y avait plus de place disponibles et qu’il devrait patienter 3 ou 4 mois. Il a eu la chance d’être hébergé, aidé et accompagné par une personne, qui a insisté pour qu’il puisse passer le test prévu par le CASNAV (centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs) pour connaître son niveau scolaire, sachant qu’il a arrêté l’école pendant un an.
« Je pensais que tout irait bien, mais c’est le contraire », confie-t-il, en parlant de la France.
Il est maintenant entre les mains de citoyens qui l’hébergent, le nourrissent et l’aident dans ses démarches. Mais jusqu’à quand ?

« El Manba », souffle d’espoir pour les migrants

Le collectif El Manba assure l’accueil des migrants (majeurs et mineurs) à Marseille. Ses membres assurent la prise en charge là où les institutions ne le font pas. Toutes les personnes qui travaillent pour le collectif sont des bénévoles, qui s’organisent chaque jour pour l’accueil de ces exilés. Chacun met ses points forts à contribution.

Le collectif a été créé en2015, après la fermeture de la frontière avec l’Italie (empêchant les migrants venant d’Italie d’aller en France). « Nous nous sommes dit qu’il fallait agir, qu’il fallait que les morts en Méditerranée s’arrêtent » confie Eric, bénévole au collectif El Manba. Il nomme ça : « le massacre en Méditerranée ». En Italie, où ils sont débarqués après avoir été sauvés en mer, un grand camp de migrants a été évacué en 2015 dans la ville de Vintimille. Ce camp était autonome et il était autogéré, grâce aussi, aux citoyens et aux associations qui aidaient les migrants. C’est autour de ces idées-là que le collectif El Manba s’ouvre, avec l’aide de bénévoles. Ils voulaient trouver des solutions pour aider les migrants que le gouvernement ne prend pas en charge. D’où le nom El Manba, qui signifie la source (de solutions). Eric poursuit : « Nous, on pâlit aux manquements de la part des institutions. » Les membres du collectif avaient installé leur local dans des squats mais se sont malheureusement fait expulsés 7 fois d’endroits différents. Aujourd’hui ils ont un local.

Le collectif met en place des permanences hébergements : Beaucoup de migrants sont à la rue, ils n’ont pas d’endroits où dormir la nuit. Parce que les délais de traitement des dossiers s’allongent et que les centres d’hébergements, les foyers, sont saturés. Les mineurs, eux, attendent donc d’être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance.

El Manba met aussi en place des aides juridique (pour les mineurs et les majeurs parce que leurs droits ne sont pas les mêmes) : Beaucoup de migrants ne sont pas pris en charge et leurs droits ne leurs sont pas expliqués. Les prendre en charge est essentiel parce qu’un demandeur d’asile à la rue, mal conseillé, aura moins de chance d’obtenir l’asile. Aussi, le fait que certains migrants ne connaissent pas leurs droits incite les institutions à ne rien faire.

Le collectif met aussi en place des cours de français pour les exilés. En échange, ces derniers leurs offrent des cours d’arabe. Ce sont des échanges enrichissants des deux côtés. Ça leur permet de créer des liens forts, des échanges. Les migrants sont acteurs : ils ne laissent pas les bénévoles du collectif tout faire pour eux. Ils se battent pour leurs droits, participent aux manifestations, concerts et repas collectifs.

« Nous, on se bat pour qu’ils puissent avoir l’asile et qu’ils ne soient pas dublinés ». confie Eric.

Le règlement de Dublin stipule que : dès lors qu’un migrant pose ses empreintes dans le premier pays où il arrive, il doit y faire sa demande d’asile. Sauf que les migrants n’ont pas forcément envie de demander l’asile en Grèce, en Italie ou en Espagne (les premiers pays européens où ils posent leurs empreintes)

El Manba n’est pas le seul acteur qui estime que les migrants mineurs ne sont pas pris en charge : La fédération des acteurs de la solidarité qui réunit des grandes ONG internationales dénoncent également : « …la pénurie de logements et de places d’hébergements… », « …une orientation systématique de certains publics vers des dispositifs spécifiques, de moindres qualités d’accueil, parfois seulement quelques nuits, et où l’ensemble des droits et prestations découlant du droit à l’hébergement ne sont pas proposés. », « Ces pratiques constituent une atteinte grave aux droits fondamentaux des personnes. »