Au Parlement européen, des voix s’opposent à la poursuite du fossile

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Mis à jour le 15/10/2020 | Publié le 05/06/2020

Si l’Union européenne a signé des accords de réduction d’utilisation des énergies fossiles, elle reste l’un des principaux financeurs du projet East Med. Les élus écologistes peinent à faire changer les règles

Le 12 février 2020, le Parlement européen votait majoritairement en faveur de la 4ème liste de Projets énergétiques considérés comme d’intérêt commun(PIC). Elle comportait un mix de projets renouvelables et le financement d’une trentaine d’infrastructures gazières géantes comme celui de EastMed, le projet de gazoduc qui va d’Israël au sud de l’Europe en passant par la Grèce et Chypre. Dans l’enceinte parlementaire, le fossé se creuse entre les défenseurs d’une interdiction du financement des projets fossiles et ceux qui ne veulent pas y renoncer.

Seuls 169 députés européens, dont Europe Écologie les Verts (EELV), se sont opposés au vote de la liste contre 443. A l’intérieur de l’UE, la Commission Européenne reste le poids lourd, face au Parlement qui doit se contenter de se prononcer pour ou contre une liste pré-établie et déterminante pour l’avenir énergétique de l’Europe. Un processus décisionnel « obsolète » pour le cabinet de Marie Toussaint, députée française de la formation politique Europe écologie les Verts qui déplore la poursuite du soutien aux projets climaticides, malgré le vote le 4 mars 2020 de la Loi climat qui rend la neutralité carbone obligatoire à 2050 pour les États européens.

« Deux grandes forces s’opposent au Parlement entre d’un côté ceux qui veulent une révision des directives concernant les décisions énergétiques, et de l’autre des textes complètement obsolètes dans lesquels se faufilent des projets tel que celui d’EastMed. Ces projets sont financés par le Connecting Europe Facilities (CEF), un fonds public européen. Il est prévu par le texte de loi Trans european networks energy qui date de 2013, bien avant les Accords de Paris et les mesures environnementales adoptées par l’UE », déclare Charlotte Izart, assistante de Marie Toussaint. « L’intérêt communautaire dont ces textes sont assortis leur permet de bénéficier de financements publics. Notre objectif est donc de revoir ces textes afin que ces projets ne soient plus financés par les fonds publics européens ».

Depuis 2014, le CEF a fourni 270 millions d’euros par an, en moyenne, pour financer des projets gaziers et principalement des pipelines, selon le rapport Global Energy Monitor. Alors même que l’extraction de gaz et son transport génèrent de fortes émissions de méthane qui augmentent le réchauffement climatique de façon égale voir plus importante que le CO² à long terme.

Ce vote européen du 12 février n’est donc pas sans conséquences pour la politique environnementale européenne. Il a été approuvé alors que la Banque européenne d’investissement (BEI) annonçait en octobre 2019 la fin du financement de tous les projets de combustibles fossiles d’ici la fin 2021. D’autres projets climaticides pourront donc être approuvés jusqu’à cette échéance et ensuite être financés. Le projet EastMed a déjà reçu deux sommes importantes de la part de l’Union Européenne : 1,927 million d’euros en 2015 pour les études et 34,5 millions d’euros en 2017 pour les études de demande de faisabilité. Le projet recevra au final 5,8 milliards d’euros des différents financeurs publics et privés impliqués d’ici 2025. Pourtant, la demande en gaz décroit sur le continent européen. L’approvisionnement et les infrastructures existants sont suffisants même en cas de crise (voir l’étude Artelys ) et ce projet n’est pas en phase avec les objectifs environnementaux fixés par l’Union Européenne, dont la baisse d’émissions exigée par l’accord de Paris. (Voir étude client earth)

Le green deal check

Au Parlement, ce système de liste contenant du fossile et du renouvelable pousse certains députés à voter favorablement parce qu’une liste contient des projets renouvelables pour leur région ou territoire. « Nous avons demandé avec d’autres partis de différents bords (une formation transpartisane née de la vague verte suite aux dernières élections européennes de 2019), une révision de ce système de liste, en excluant les énergies fossiles à l’intérieur de ces listes, et en incluant plus de démocratie : que le Parlement européen soit plus consulté et durant de plus longues périodes. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. On demande un ‘green deal check’ (contrôle vert) du contenu des listes PCI, pour pouvoir en exclure les projets fossiles», poursuit Charlotte Izart.

Ce green deal check est à l’ordre du jour de la Commission européenne. Il contient également la révision de textes et directives énergétiques suite à l’adoption de la Loi climat, afin de se mettre en accord avec les objectifs environnementaux européens dont l’Accord de Paris et en excluant les fossiles dont fait partie East Med. L’enjeu est de pouvoir faire annuler les financements destinés aux énergies fossiles avant le vote de la prochaine liste PIC, début 2021. Une liste dans laquelle le projet de gazoduc pourrait figurer de nouveau, s’il a encore besoin de financements européen. L’arrêt du financement public, majoritaire, pourrait décourager les investisseurs privés, rassurés par le co-financement public dans ce genre de « projet risqué ». Les recours judiciaires d’ONG, des populations impactées et les mobilisations contre ces projets pourraient aussi peser dans l’arrêt des travaux des infrastructures en construction. Ce fut par exemple le cas pour le projet Midcat/step, projet de gazoduc entre la France et l’Espagne, grâce à la mobilisation citoyenne et associative.

Les espoirs Verts pourraient néanmoins être mis à mal au sein du Conseil européen par les pays qui sont majoritairement dépendants des énergies fossiles et par le gros travail des lobbys auprès des députés européens : « Ils arrivent à convaincre les députés et groupes parlementaires avec l’argument de la création d’emploi, de l’indépendance énergétique alors que c’est l’énergie renouvelable qui engendrera une réelle indépendance énergétique et non une ressource qui vient de puits israéliens ou algériens », poursuit Charlotte Izard. « Leur deuxième argument est que les infrastructures en cours pourront tout à fait servir à transporter du renouvelable comme le biogaz ou l’hydrogène par la suite ».

Cependant, les infrastructures prévues pour le fossile ne seraient pas utilisables pour le renouvelable. Dans son rapport, le Global Energy Monitor précise : « Les pipelines de transport de gaz existants ne peuvent manipuler un petit pourcentage d’hydrogène ou ils risquent une corrosion et d’autres dommages; l’utilisation généralisée de l’hydrogène aurait besoin de nouveaux pipelines de transmission ou des améliorations importantes aux pipelines existants (IEA 2019). L’hydrogène pourrait plutôt être produit localement, et dans ce cas, il ne nécessiterait pas de transmission longue distance prévue par les pipelines (AIE 2019). »

Des alternatives au fossile

Face à la continuité du financement de projets climaticides adoptés par l’Union Européenne ces cinq dernières années, des groupes de chercheurs comme le Global Energy Monitor, des agences gouvernementales et des ONG internationales comme les Amis de la terre et Friends of Earth proposent des alternatives au fossile : « On essaie de mettre en avant les alternatives dans le processus de décision tout en questionnant l’efficacité des projets : a t-on vraiment besoin de tous ces gazoducs pour l’avenir ou ne vaudrait-il pas mieux favoriser l’isolation dans les bâtiments pour réduire les besoins en gaz ? », interroge Tara Connolly, en charge des campagnes concernant le gaz pour Friends of Earth Europe. « Le taux de rénovation des bâtiments est de 1% aujourd’hui. On estime qu’il faut aller vers 3% par an pour atteindre les objectifs climatiques et réduire en grande quantité la consommation en gaz et en chauffage électrique. L’installation de pompes à chaleur dans les nouveaux bâtiments et nouvelles maisons peut constituer une solution. » Le programme « Renovation wave » proposé par la Commission européenne en février 2020 prend cette direction et encourage les États à soutenir les collectivités, les particuliers et les entreprises à rénover leurs biens.

« Les différentes crises politiques, comme lors du conflit entre la Russie et la Crimée, nous font craindre la pénurie de gaz. Il est important d’assurer la sécurité énergétique et de réduire les coûts environnementaux et financiers liés à son importation », précise Tara Connolly.

Aujourd’hui, les importations de gaz de l’Europe proviennent principalement de Russie (38,7%), Norvège (25,3%) et Algérie (10,6%) et n’ont fait que croître ces 10 dernières années. Le gaz naturel liquéfié (GNL) est l’une des ressources les plus consommées par les pays européens (voir photo camemberts) avec le pétrole notamment pour produire de l’électricité. La production en plus grande quantité du renouvelable seraient donc la solution selon l’organisation Friends of Earth, les éoliennes plus avancées en matière technologique et les panneaux solaires eux moins coûteux pourraient donc substituer le gaz pour produire de l’électricité. « Il faudrait toute une gamme de technologies nouvelles qui puissent permettre la mise en place d’un système qui peut intégrer de grands volumes d’énergies renouvelables, c’est à dire remplacer les infrastructures actuelles qui acheminent le gaz, le charbon ou l’électricité c’est très complexe et nécessite beaucoup de travaux », analyse Tara Connolly. Cependant, ces alternatives nécessitent une remise en question de toute la politique énergétique européenne et des investissements colossaux que les entreprises fournisseurs d’énergie en gaz ou en pétrole ne sont pas prêtes à mettre en place.

Le renouvelable de moins en moins coûteux

Une récente étude de l’agence internationale de l’énergie montre que indépendamment de la pandémie du coronavirus, la demande en gaz de façon générale a une tendance à la baisse, du fait de l’évolution des températures dans l’hémisphère nord : la consommation a baissé de 2,6% en Europe et de 4,5% aux États-Unis entre 2019 et 2020. De plus, l’écart entre les coûts de la production et le stockage d’énergies renouvelables et ceux d’énergies fossiles se resserre. Le renouvelable étant de plus en plus rentable, cet écart pourrait encore se creuser si les coûts du renouvelable continuent à décliner.

Aux États-Unis, l’analyse projet par projet du Rock Montain Institut a conclu que les portefeuilles d’énergies propres (PEC) – une combinaison optimisée entre la gestion de la demande et la production de l’énergie éolienne, solaire, et les technologies de stockage – étaient moins chers que 90% des centrales électriques au gaz proposées. Avec des coûts de gaz nettement plus élevés dans l’UE qu’aux États-Unis, il est probable que le remplacement de projets de gazoduc par des énergies propres permettrait de faire des économies et d’atteindre les objectifs environnementaux européens.

Remplacer le gaz par du gaz « vert » comme l’hydrogène, le biométhane ou carburant synthétique serait très coûteux et inefficace selon plusieurs ONG européennes. Elles soutiennent l’idée que pour être efficace, l’hydrogène doit être produit localement, en circuit court et non transporté. Le méthane provenant de sources propres pourrait quand à lui être brûlé pour produire de l’électricité. Mais ce carburant est très coûteux et ne sera utilisé que dans certains secteurs comme l’industrie, les transports, et le bâtiment qui n’utilisent pas beaucoup de gaz. « Il serait vraiment temps d’être plus flexible dans la conception du renouvelable, pour produire de l’électricité en Europe, afin d’encourager les particuliers, les collectivités et les entreprises. C’est avant tout aux décideurs, donc aux États de changer les choses et de prendre des décisions en soutenant le renouvelable », conclut Tara Connolly. « Les pays de l’UE comme l’Italie et la Grèce, la Croatie ou l’Irlande, qui veulent devenir des noyaux de distribution du gaz, doivent comprendre qu’on n’en a pas besoin et que l’indépendance énergétique viendra bel et bien de la capacité de production d’énergies renouvelables de chaque pays. »

* En France, les scénarios de transition énergétique pour un objectif de 100% renouvelable en 2050 publié par l’agence gouvernementale de l’ADEME

* L’association militante NEGAWATT publie une série de mesures prévoyant la neutralité carbone en France fixé par l’UE à 2050

* Les projets utilisant un procédé de capture et de stockage du carbone (CSC) et ceux inscrits dans la 4ème liste classés PCI (projet d’intérêt commun), comme c’est le cas pour East Med, pourront toujours bénéficier de prêts préférentiels de la BEI : rapport intitulé « Le gaz à la croisée des chemins » publié par Global energy monitor en février 2020

* Des juristes militants accusent le conseil d’administration de la BEI de violation de la loi européenne