En France, une histoire d’amour née en Syrie

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Mis à jour le 17/10/2020 | Publié le 26/04/2018

Après un parcours migratoire tumultueux entre la Syrie, la Turquie et la France – où ils ont vécu dans un centre pour demandeurs d’asile (CADA) avec des conditions de vie difficiles – Abed et Yara (27 ans) ont pu s’installer en France et poursuivre des études. Ils nous livrent une partie de leur épopée amoureuse qui fut un temps clandestine.

Hélène : Où vous êtes-vous rencontrés ?

Abed : On s’est rencontrés dans un petit village vers Massayaf (Centre-Ouest de la Syrie, région de Homs) à une soirée chez des amis en 2013, mais nous n’avons pas échangé nos numéros de téléphone donc il fallait attendre que ce même groupe d’amis refasse une soirée et nous avons donc attendu un mois avant de pouvoir nous revoir.

Yara : Moi j’étais pressée de le revoir, je disais aux autres, il faut essayer d’organiser une deuxième soirée avec les mêmes personnes qu’il y avait la dernière fois, ils étaient vraiment super sympas, alors j’insistais.

Abed : Pareil pour moi j’insistais auprès de nos amis pour organiser une autre rencontre avec les mêmes personnes afin de pouvoir la revoir. On avait des amis en commun donc on a pu organiser une deuxième rencontre. On était attirés l’un par l’autre.

Yara : Moi j’ai vu beaucoup de gentillesse en lui. Après un mois donc, on a revu le même groupe dans le cadre d’un dîner, il m’a demandé si j’avais un téléphone portable, je lui ai dit non pas avec moi, il est resté chez moi dans mon village mais je m’en sers peu car il ne capte pas très bien, on a très peu de réseau et très peu d’électricité aussi pour le recharger. Donc il m’a dit qu’il allait m’envoyer un message avec inscrit 100 et que je le recevrai quand j’aurai du réseau et de l’électricité. Je suis donc rentrée chez moi, un petit village, et j’ai attendu 4 jours et enfin, l’électricité est revenue et j’ai vu que j’avais un message, et j’ai vu le chiffre 100 donc j’étais folle de joie, c’était bien un message de Abed.

Mais nous étions dans une situation compliquée car Abed est d’une autre confession que moi et c’est dangereux pour une fille de sortir avec quelqu’un d’une autre confession. Donc notre relation était très très très secrète. Tout prenait beaucoup de temps, il fallait de la patience à cause de ce secret, personne ne savait, sauf ma famille.

Abed : Oui heureusement la famille de Yara est très ouverte d’esprit, contrairement aux personnes du village où elle habite. Là-bas ils sont tous alaouites, et nous à Massayaf on est ismaéliens.
Donc on s’est cachés pendant un an.

Moi j’avais envie de quitter la Syrie déjà avant de rencontrer Yara car la situation devenait dangereuse. Mais avec cette relation, je me suis dit que je pouvais rester ici encore quelques mois pour mieux la connaître, on s’est vus plusieurs fois et on s’est dit que peut-être on quitterait la Syrie ensemble, donc j’ai fait une proposition à la famille de Yara. J’allais être appelé pour le service militaire dans un ou deux mois donc il fallait que je parte en Turquie. Je leur ai dit que si j’arrivais à travailler, à trouver un appartement, peut-être que Yara pourrait me rejoindre et on pourrait commencer notre vie ensemble. Et les parents de Yara ont accepté ! C’était une vraie surprise pour moi car je me disais que si j’étais le papa de Yara, je n’accepterais pas facilement.
Mais en même temps ils ont vu que j’étais quelqu’un de bien et que j’avais un plan solide et clair.

Je suis parti de la Syrie en février 2015, après 5 mois en Turquie, j’avais un travail et un appartement. Et j’avais même un peu d’argent à envoyer en Syrie pour aussi faire venir Yara en Turquie, donc sa famille a accepté qu’elle vienne.

Yara : Pour moi cela a été très difficile de rejoindre Abed en Turquie. On ne s’était pas vus depuis des mois, et pour ma propre future situation rien n’était clair. J’allais vers l’inconnu total. Peut-être que Abed a ressenti ça ou non, mais moi j’avais peur. Et n’ayant pas internet chez moi, il fallait toujours que j’aille trouver une connexion chez quelqu’un discrètement. Donc ces conditions n’étaient pas idéales mais le temps est passé, et puis est venu le temps des formalités administratives. On a rempli des formulaires et on s’est mariés à distance, avec la procuration de Abed faite à son père afin qu’il signe les papiers du mariage.

Abed : Yara et mon père on fait tous les papiers et Yara a pu rejoindre la Turquie en juillet 2015, 5 mois après mon arrivée.

Yara : Après tout ce temps, j’étais très contente d’aller le retrouver. Et toutes les peurs venant de nos communautés et religions différentes se sont estompées, et aussi les questions sécuritaires liées à la situation en Syrie et le passage à la frontière. En retrouvant Abed, tout ça s’est un peu envolé.

Abed : Durant ces 5 mois éloignés l’un de l’autre, cela a été vraiment difficile, surtout en Syrie où il ne fallait rien montrer et que personne ne sache sinon cela aurait engendré des problèmes pour nos deux familles. Donc Yara a annoncé à l’entourage au dernier moment, qu’elle avait trouvé quelqu’un avec qui se marier. Donc tout s’est fait en une semaine et elle s’était préparée à partir rapidement et elle a quitté la Syrie. Les gens ont donc su une semaine avant le départ de Yara qu’elle se mariait alors que cela faisait un an et demi que nous avions commencé notre relation.
Car chez nous il faut absolument se marier pour entamer une relation amoureuse sinon cela pose problème surtout pour la fille, certains passent outre et entretiennent des relations hors mariage, mais ils doivent se cacher.

Yara : Pour que tout le monde sache que nous étions bel et bien mariés, nos parents ont organisé un mariage avec nos deux familles rassemblées.

Abed : En Turquie cela a été difficile mais cela a été pour notre couple une superbe expérience car on devait travailler pour vivre, mais sans papiers en Turquie en principe ce n’est pas permis mais si on ne travaillait pas on se serait retrouvés à la rue. Donc on a écrit un mail à l’ambassade de France à Ankara pour expliquer notre situation, car nous étions un peu en danger, car nous sommes issus de familles musulmanes alaouites et ismaéliennes mais nous ne sommes pas du tout pratiquants, ni religieux du tout et Yara ne portait pas le voile, cela posait problème même avec les Syriens réfugiés avec qui nous travaillions.

Hélène : Si on revenait à votre histoire d’amour… Quand vous vous êtes retrouvés après 5 mois en Turquie, comment cela s’est-il passé ?

Yara : Après tout ce que nous avions traversé, la pression était retombée, un mois plus tard donc je me réveillais et je le voyais à coté de moi et je me disais wahou ! Cela est vraiment réel, ce dont je rêvais avec lui s’est réalisé ! Tout ce que j’imaginais : peut-être que je dormirai avec Abed, peut-être que je mangerai tous les soirs avez Abed, et là cela se réalisait enfin !!! C’était très bizarre et beau !

Abed : Oui c’était un moment inoubliable, surtout le moment des retrouvailles car Yara a eu un problème quand elle est venue en Turquie, elle a pris la route pour le Liban, puis l’avion jusqu’à Adana en Turquie puis elle devait prendre un bus pour rejoindre Gazientep mais le chauffeur a dit qu’elle n’avait pas réservé sa place donc elle ne pouvait pas monter dans le bus. Et là j’ai proposé de venir jusque là mais elle m’a dit non je me débrouillerai.

Yara : C’était très dur pour moi car je ne parlais pas turc et pas d’autres langues et je n’avais pas internet, ni de téléphone, mais c’est l’amour qui me guidait et me donnait espoir afin de trouver une solution. Et pour nous c’était en plus une première fois, une première expérience à l’étranger en dehors de la Syrie ! Je ne savais pas comment utiliser l’argent, comment me débrouiller, j’ai donc pris le bus quand même, j’ai repéré une Syrienne à qui j’ai demandé son téléphone pour appeler Abed et lui dire que j’arrivais dans une heure.

Abed : Le moment où l’on s’est retrouvé à Gazientep à sa descente du bus est très difficile à décrire, car tous les sentiments et toutes les émotions sont arrivés en même temps.