Inch’allah Idleb

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Mis à jour le 03/09/2021 | Publié le 05/03/2020

Depuis maintenant un an, la ville d’Idleb et toute sa province au nord ouest de la Syrie, sont les principales cibles des armées, russes, syriennes et turques afin de reprendre des localités jusqu’ici sous le contrôle de différents groupes armés qui s’y sont développés ces dernières années ou y ont trouvé refuge. Pris en otage, les civils au nombre de 3,5 millions se déplacent petit à petit vers la frontière turque et tentent de trouver des poches de sécurité.

« Les enfants meurent de froid à Idleb », peut-on lire sur les réseaux sociaux où les lecteurs européens partagent des articles de presse. Ils s’indignent de l’inaction du monde face aux images qui parviennent de cette zone en guerre montrant des enfants en pyjama, les pieds presque nus, se tenant devant des tentes enneigées au cœur de la province d’Idleb. Sur place la situation s’enlise. Depuis un an, l’armée syrienne et ses alliés russes, iraniens et libanais du Hezbollah ont entamé une longue offensive afin de reprendre chaque ville et village, nombreux au nord-ouest syrien, aux mains de différents groupes dont des djihadistes.

Ils seraient aujourd’hui des dizaines de milliers de combattants (30 000 selon plusieurs sources) et n’ont pas encore renoncé à ce dernier bout de territoire où ils se déplacent de bataille en bataille depuis 2013. Parmi eux, des combattants rebelles de l’armée syrienne libre (ASL) issus de la population et des premiers défecteurs de l’armée syrienne au début de la révolution mais aussi des groupes radicaux, djihadistes. Ces derniers se sont formés au fil du temps avec la venue de combattants étrangers originaires d’Irak, d’Europe, du Maghreb, du Moyen Orient. Ils sont idéologiquement opposés les uns aux autres mais combattent côte à côte contre Damas et ses alliés.

« La situation n’est pas connue du monde et c’est tragique. Avec les déplacements de masse, les femmes et les enfants meurent à cause du froid et de la faim.»

Dans la province d’Idleb, leurs rangs ont été gonflés par l’arrivée des opposants qui n’ont pas accepté de rendre les armes dans le cadre des accords de désescalade négociés avec le régime et l’armée russe, dans différentes régions du pays. Les combattants ont été conduits avec leurs familles dans la province d’Idleb.

Les civils, les oubliés

La majorité des déplacés reste malgré tout des civils, conduits de force vers cette région ces 5 dernières années (voir article 15-38). Habitants des zones révolutionnaires comme la vaste banlieue de la Ghouta orientale proche de Damas, ou encore de la partie d’Alep autrefois assiégée, ils sont considérés comme sympathisants des rebelles et ont été contraints de quitter leurs terres et leurs maisons. Ainsi après chaque reprise de territoire par le régime et ses alliés, des dizaines de bus encadrés par les forces russes ont pris la route qui relie Damas à Alep pour arriver dans la région d’Idleb, située plus à l’ouest. Une stratégie bien ficelée par Damas afin de confiner les opposants, les groupes armés, et des civils dans la même province, puis donner l’assaut, les tuer et les faire fuir. S’accaparer leurs terres et se débarrasser de ces vies humaines désormais considérées comme indésirables sur le sol syrien.

« La situation n’est pas connue du monde et c’est tragique. Avec les déplacements de masse, les femmes et les enfants meurent à cause du froid et de la faim. Il n’y a pas de place pour se réfugier après un bombardement, pas d’endroit sûr, on a peur de chaque avion qui vient nous bombarder », confie Marwa depuis Idelb, jointe via les réseaux sociaux. « Les bombardements et les déplacements ont touché la plupart des régions. Je ne sais pas où aller, on est comme dans une prison à ciel ouvert, moi je vais apporter mon aide dans les camps des environs. On apporte du lait pour les bébés et aussi des produits d’hygiène pour les femmes car les organisations n’y pensent pas. Et depuis la mort des soldats turcs la situation empire, les combats s’intensifient » poursuit Marwa. Si la Turquie a ouvert ses frontières avec l’Europe, elle garde celle avec la Syrie bel et bien fermée, il est impossible pour toutes ces familles de s’enfuir.

Depuis Juillet 2019, c’est en effet au tour des habitants des dizaines de localités de la province d’Idleb de renoncer à leur terre, les bombardements aériens incessants déplacent de façon constante les 3 millions de personnes qui vivent entre Alep, Hama, Idleb et la frontière turque. En décembre 2019, l’aviation russe a lâché une bombe sur la marché de Maarat el Noman, une localité presque entièrement détruite au sud d’Idleb, faisant 21 morts. Des travailleurs agricoles ont également été visés, un journaliste syrien décrit ces actes comme un moyen de décourager et de chasser les civils de leurs terres et maisons vers les camps à la frontière avec la Turquie. Là, à deux kilomètres du mur construit par les Turcs et d’une longueur de 911 km, s’étendent désormais des rangées de tentes érigées sur des terrains de terre rougeâtre que le vent emporte partout et qui se transforment en boue visqueuse à l’arrivée de l’hiver. « Les pères et mères de famille sont désespérés par le prix des denrées alimentaires, le pain, les légumes sont devenus trop chers pour eux, ils se nourrissent de feuilles bouillies », poursuit le journaliste. Le nombre de camps au nord-ouest de la Syrie s’élève à 1259 avec 1 022 216 personnes (camps informels, Idleb, Harim, Jisr-el-Shougour, Jabal Saman) selon l’organisation Response Coordination Group.

Ecole détruite suite à un bombardement aérien dans la province d’Idleb. @BMO

La moitié des civils sont des enfants

Les enfants n’ont plus accès à l’éducation. Depuis mars 2019, les bombardements russes et syriens ont visé et détruit 65 écoles d’après une ONG locale, 235 400 étudiants ont été déplacés ( de Khan Cheikhun, Ariha, Kafer Nabel, Maart el Noman, Idleb et Jisr el Choughour) dont 211 ont été tués par ces mêmes attaques. La direction de l’éducation à Idleb a signalé la destruction de 190 écoles par l’armée syrienne depuis 2011. Les projets éducatifs soutenus par différentes organisations internationales et relayés sur place par des ONG locales ont dû s’arrêter (voir article 15-38). « Nous avons perdu six centres éducatifs depuis l’offensive sur la région d’Idleb. Les enfants n’ont donc plus accès à aucune activité éducative », confie Khaldoun co-coordinateur du projet Magic Caravan qui construit sur place des petites maisons mobiles afin d’aller à la rencontre des familles et des enfants. « Ces derniers temps nous portons également une aide médicale aux enfants touchés par le cancer ou blessés lors des bombardements car les cliniques de campagne et l’hôpital d’Idleb n’ont pas assez de traitements pour tous leurs patients, nous avons besoin de soutien ». De nouvelles caravanes ont pu être construites et circulent dans les camps vers la frontière turque où 15 enseignants et animateurs prennent en charge les enfants, le temps d’oublier quelques heures leurs doigts gelés et leurs conditions de vie. On estime à 1,5 million le nombre d’enfants dans le besoin actuellement au nord de la Syrie suite aux déplacements. Les aides des Nations Unies parviennent via les ONG locales depuis la Turquie mais sont insuffisantes face aux millions de personnes déplacées. 

Villes mortes

Ce vaste territoire, caractérisé par l’immensité de ses champs agricoles, sa verdure et son calme qui ont tant inspiré les activistes de cette région durant toutes ces années de résistance et de révolution, est aujourd’hui piétiné. Une résistance et une révolution, comme ils les nomment encore, rudement menées contre les groupes extrémistes et les assauts du régime et de ses alliés. Ils manifestaient chaque vendredi jusqu’en 2019, brandissant des dessins, des caricatures, des analyses, des signes de vie à Kafer nabel, devenue ville morte après le passage des forces de Damas il y a un mois. La bulle d’oxygène créée par ces activistes avait permis à des dizaines de projets de fleurir et avait donné de l’espoir et un souffle de vie aux habitants, aux femmes, aux enfants à qui on permettait enfin de s’exprimer à travers des dessins, du théâtre, et surtout des médias papier, radio et vidéo diffusés sur internet. Les initiateurs, des grands pacifistes, comme Raed Fares, assassiné en novembre 2018, auront permis d’ouvrir cette fenêtre de paix face aux armes. Toutes ces villes, vidées de leurs habitants, sont désormais devenues des villes fantôme à l’image des villes mortes (villages antiques de l’époque byzantine) situées dans la même région, dont les vestiges qui avaient repris vie avec la présence des déplacés, sont à nouveau mornes et désertés.

Photo Une : « Les civils fuient les bombardements dans la province d’Idleb et partent en direction du nord sans savoir où aller » @Blahn Hood بلاهن هود الصور 

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Encadrés (Source : Response Coordination Group)