A Badalone, l’arrivée à la mairie des militants n’a pas répondu à toutes les attentes

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Mis à jour le 12/07/2022 | Publié le 22/04/2022
Élus au conseil municipal en 2015, les membres du nouveau parti Guanyem Badalona, issus de la société civile de cette ville périphérique de Barcelone, n’ont pas réussi à mener toutes les réformes qu’ils souhaitaient. La rue, elle, ne cache pas sa déception.

Flashback. Mai 2011. Asphyxiés par la crise et sa gestion politique, des milliers d’Espagnol.es campent sur les places des principales villes du pays pour réclamer un changement. La protestation pacifique souhaitait s’éloigner du bipartisme PP-PSOE (pour Partido Popular, parti conservateur et Partido Socialista Obrero Español, socialiste) et réclamait plus de droits sociaux. À l’époque, plusieurs politiques leur rétorquent que s’ils veulent vraiment changer le système, ils doivent se présenter aux élections. Alors ils l’ont fait. Regroupant le plus souvent des militants d’associations du droit au logement, à la santé publique de qualité ou encore à la retraite digne, plusieurs mouvements politiques naissent et se présentent aux élections municipales de 2015. À Badalone, en banlieue limitrophe de Barcelone, c’est sous le nom de Guanyem Badalona que des militants anonymes tentent d’entrer en politique. Leur slogan était tout trouvé : « un pied dans les institutions, 1.000 pieds dans la rue ».

Après une campagne atypique, Guanyem arrive en deuxième position avec 17% des voix. Une place qui leur permettra de créer une alliance d’opposition à la droite conservatrice et de gouverner la ville. Aujourd’hui conseillère municipale, Nora San Sebastián se souvient : « On se disait qu’on devait au moins essayer et c’est vrai qu’on n’imaginait pas gagner la mairie… au mieux, on se préparait pour une opposition forte ». Mais trois ans après leur arrivée au pouvoir pour « renverser les partis traditionnels », c’est ironiquement une motion de censure menée en 2018 par une alliance du bipartisme PP-PSOE qui les empêchera de terminer leur mandat.

Limitations

Guanyem garde un souvenir en demi-teinte de cette expérience au pouvoir. « Nous venions pour tout changer et nous nous sommes heurtés aux limitations de l’administration : les ordonnances, la législation… Tout est fait pour que rien ne soit modifié », explique la quadragénaire. (Re)municipaliser certains services devenait mission impossible. Augmenter les dépenses publiques pour les services sociaux, illégal. Alors Guanyem a oscillé entre la lutte acharnée pour obtenir certaines avancées comme la tarification sociale pour les crèches, l’abandon de certaines mesures et la désobéissance à l’Espagne pour les dépenses sociale : une rébellion dont ils sont particulièrement fiers. Mais leur insubordination n’a pas eu l’effet escompté. « Nous avions voté dans notre budget 8 millions d’euros pour un plan d’aide au logement qui n’a jamais vu le jour ! L’argent est bien réservé mais le système-même freine sa mise en place. Je crois que seulement 25% de notre budget a réellement été exécuté », calcule San Sebastián.

« Nous venions pour tout changer et nous nous sommes heurtés aux limitations de l’administration : les ordonnances, la législation… Tout est fait pour que rien ne soit modifié »

Nora San Sebastián, Conseillère municipale


Pendant ce temps, la rue, elle aussi, est passée de l’euphorie à la désillusion. Au pied des immeubles délabrés du quartier de Sant Roc, plusieurs activistes de la Plataforma Sant Roc Som Badalona écoutent les plaintes des voisins et essaient de résoudre leurs problèmes de logement. Tous se rappellent de la victoire de Guanyem. « Sur la place de la mairie, le jour de l’investiture du gouvernement du changement, les gens étaient émus aux larmes, c’était jour de fête ! Et même s’ils n’ont pas pu faire tout ce qu’on attendait, au moins, ils y mettaient de la volonté et de l’envie », résume Carles Saguès, sexagénaire. « Dans une autre vie », il avait lui aussi été conseiller municipal à Badalone et il pressentait dès 2015 les limitations de l’administration. « Revenir en politique, non merci ! Je me sens plus utile dans la rue », affirme-t-il aujourd’hui, dossier d’expulsion locative sous le bras.

Carles Saguès et Enric Marín, de l’organisation « Plataforma Sant Roc Som Badalona ». Elise Gazengel.

Temporalités politiques

Cette semaine, la plateforme est parvenue à arrêter dix expulsions. C’est d’ailleurs de la plateforme anti-expulsion que vient la maire actuelle de Barcelone, ainsi qu’un bon nombre de représentants politiques locaux. Enric Marín est lui aussi un ancien du mouvement. Pour lui, les mairies devraient s’allier aux associations et profiter de leur expérience pour mener à bien les politiques sociales. Une promesse mise en avant en 2015 par ces petits partis mais peu appliquée selon l’activiste. « Alors oui, au moins, quand Guanyem est arrivé on se réunissait tous les mois avec eux, mais ça ne me sert à rien de les entendre me dire en pleurant qu’ils ne peuvent rien faire », se remémore-t-il, amer.
Ces critiques sont connues dans les bureaux municipaux de Guanyem. Núria Sabater, membre du parti depuis sa création, les comprend. « Il est vrai qu’il y a une certaine déception dans nos bases, les gens attendaient beaucoup de nous, reconnait-elle. Ce qui nous manque c’est de prendre le temps de la réflexion profonde, d’analyser comment nous améliorer et revenir pour que nos bases sachent quel est le nouveau projet, mais les temps politiques nous en ont empêché ».
D’un autre côté, Núria et Nora admettent que l’impulsion que leur donnaient la rue et les mouvements sociaux quasi-quotidiens leur manque aujourd’hui. « Quand on parle de 1.000 pieds dans la rue, c’est parce que la mobilisation est absolument nécessaire pour mettre certains sujets sur la table politique », conclut Nora qui juge qu’il est de sa responsabilité de réactiver la mobilisation même si la tâche sera rude. Dans la rue comme dans le bureau de Guanyem, une décennie après les Indignés, tous espèrent que le slogan des places « Vamos despacio porque vamos lejos » (Nous allons lentement parce que nous irons loin) devienne réalité.