Airbnb peut-il être un acteur culturel comme les autres ?

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Mis à jour le 27/03/2023 | Publié le 20/03/2023
La plateforme de locations touristiques a compris l'intérêt de développer les offres culturelles pour dynamiser le marché de la location touristique dont elle est l'un des acteurs principaux. De ses offres d'activités culturelles à son mécénat, elle semble parvenir à obtenir du pouvoir sur les décisions de politique publique.

Louvre, Paris, 2017. Kuhnmi/Creative communs

En 2022, la plateforme américaine de locations touristiques est devenue le premier mécène du programme « Patrimoine et tourisme local » de la Fondation du Patrimoine française. Un don de 5,6 millions d’euros a été fait pour financer des projets dans les communes rurales. « Airbnb contribuera à travailler sur le long terme avec les territoires et tous les acteurs locaux pour revitaliser le tourisme patrimonial, en mettant en valeur la richesse et la diversité du patrimoine français auprès des visiteurs du monde entier », déclare alors Emmanuel Marill, Directeur Europe, Moyen-orient & Afrique d’Airbnb. La plateforme américaine a généré 3,4 milliards de dollars de recettes en 2019.

En donnant de la visibilité au patrimoine des campagnes françaises, Airbnb espère renforcer leur attractivité touristique, augmenter la demande de logements touristiques et, au final, agrandir son marché. La plateforme propose déjà des offres labellisées « tourisme patrimonial ». Le potentiel est important : la France est la première destination touristique mondiale et Paris, le premier marché d’Airbnb.

Or, la Fondation du Patrimoine est l’organisme sur lequel repose l’essentiel de la politique patrimoniale nationale française. En 2021, la Fondation a obtenu 117,7 millions d’euros de ressources. Le don d’Airbnb représente un peu moins de 5% du total.. C’est plus que le montant de subventions publiques reçues par la Fondation. La plateforme américaine a donc désormais un pouvoir d’arbitrage sur les choix en termes de rénovation et de préservation du patrimoine français.

Il y a quelques semaines, Airbnb a annoncé avoir mis en place un dispositif d’aide à la rénovation énergétique de logements en montage en France appelé « Montagnes durables ». Ce dispositif est piloté par Essentiem, un fonds de dotation qui aide au développement de projets touristiques d’intérêt général, dont fait partie la région Auvergne Rhône-Alpes. L’initiative est saluée par l’association des maires des stations de montagne qui souligne l’importance de « rénover l’offre d’hébergement touristique ».

Visite guidée du Louvre

Si l’utilisation la plus commune de la plateforme consiste à trouver un hébergement, Airbnb propose aussi des « expériences » : « faire une séance photo avec un réalisateur primé », visiter les chefs d’œuvre d’un musée en deux heures, ou encore apprendre à cuisiner un plat typique. En 2019, la plateforme a conclu un partenariat avec le musée du Louvre. Concours pour passer une nuit dans le musée, petits concerts avec « la scène française émergente » font partie du partenariat.

Capture d’écran du site Airbnb. Mars 2023

Le musée du Louvre est un établissement public et ce partenariat provoque la colère de l’adjoint au logement à la Mairie de Paris, Ian Brossat. « Ces opérations publicitaires acceptées par l’État (…) visent à faire rayonner une multinationale de la Silicon Valley à travers l’un des symboles de la France. Cela au moment même où Airbnb méprise notre propre législation nationale », écrit-il au ministre de la Culture.

Quelques années plus tôt, la mairie de Paris avait mis fin au partenariat culturel qui permettait à Airbnb de proposer à ses utilisateurs des visites des Catacombes. « Nous avons mis un terme définitif à ces partenariats au vu des conséquences d’Airbnb dans la capitale », explique Ian Brossat. Sur le site d’Airbnb, en cherchant des « expériences » à Paris pour le mois de juin 2023, des visites guidées du musée du Louvre sont proposées à des tarifs allant de 45 à 90 euros. Celles proposées par le musée coûtent 12 euros. Ces visites guidées semblent être favorisées par le partenariat avec le Louvre, puisque peu d’offres concernent d’autres musées de Paris. 

La plateforme propose par exemple une visite du musée d’Orsay à 63 euros, alors que celle du musée en coûte dix et ne propose pas de visite de musée à Marseille. Dans cette ville, la plateforme propose une randonnée dans les Calanques, dont l’accès est gratuit, à 42 euros par personne ou un « jeu de piste » dans le quartier du Panier (lire notre reportage) à 25 euros par personne. Un « tourisme créatif », présenté comme le « tourisme de demain », car « plus proche » des « locaux ».