Algérie, reprise des manifestations et méfiance envers les nouvelles autorités

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Publié le 09/03/2021
Un pays peut sortir des radars de l’actualité. Mais les transformations ne s’arrêtent pas pour autant. Le 22 février 2019 est une journée qui a marqué et marquera l’histoire de l’Algérie, comme le début d’une période où une page se tourne. En 2019, le mouvement de protestation algérien, surnommé « Hirak », était à la Une de notre revue. Notre dossier s’arrêtait aux événements de novembre 2019, alors qu’un groupe de manifestants était arrêté, inculpé d’atteinte à l’intégrité du territoire de l’État. Deux ans plus tard, que s’est-il passé ? Au sein de la société, l’envie de changement est toujours là.

22 février 2020 

Sur la corniche de Mostaganem, à 80 kilomètres d’Oran, des jeunes se pressent dans les nouveaux restaurants. Inal, 29 ans, a participé à toutes les manifestations. Aujourd’hui, il est peu enthousiaste. « Les gens sont plus libres de parler. Le wali (préfet) a un peu peur des critiques des citoyens. Mais nous sommes sortis manifester pour un changement de système. Après un an, on n’a rien obtenu », estime-t-il. Le jeune homme, qui a vu sa mère s’intéresser aux manifestations et y participer, admet pourtant que lui-même a changé : « Je m’exprime plus qu’avant, je n’ai plus peur. Même si le wali vient, je lui dis ce que je pense ».
Autre habituée des manifestations de Mostaganem, Dahbia, enseignante en architecture, a le même sentiment. « Le jour de l’élection présidentielle, on savait que la police allait arriver. On a manifesté, en attendant que la police nous tombe dessus. On n’avait plus peur ». Ce 12 décembre 2019, comme dans la plupart des régions du pays, les forces de l’ordre tentent d’empêcher les manifestations d’opposants au vote. A Oran, ce jour là, ainsi que le lendemain, des dizaines de manifestants sont interpellés et malmenés dans les commissariats. « On se faisait massacrer et Tebboune à la télévision parlait de dialoguer », se souvient Wihem. Dans la deuxième ville du pays, la mobilisation de la société civile est immédiate. Les arrestations sont recensées et médiatisées, un réseau de solidarité se met en place pour héberger ceux qui n’ont plus les moyens de rentrer chez eux après une arrestation, les personnes interpellées sont incitées à témoigner et à déposer plainte, soutenues par des militants plus expérimentés. En parallèle, les images de la violence se propagent sur les réseaux sociaux et suscitent l’indignation. La police dénonce des « contenus malveillants manipulés et véhiculés par des personnes malintentionnées visant à altérer l’ordre et la tranquillité publics » mais annonce l’ouverture d’une enquête. Dès le lendemain, la « gaâda boulitik », le débat politique en plein air organisé quotidiennement dans la ville depuis le début du mouvement de protestation, est ouvert à la prise de parole des victimes des arrestations. 

A Oran, la société civile a transmis son expérience

Cette réaction collective est assez inédite. A Oran, des associations ou des collectifs sont actifs depuis longtemps et ancrés dans le territoire. La participation de leurs membres dans les manifestations a eu de l’impact. « Le Hirak est le moment qui a crée un déclic mais il est inclus dans un processus qui a commencé avant. Ici, il y a des liens entre les acteurs de la société civile, et des liens entre la société civile et la population», explique Fatma Boufenik, responsable de l’association Femmes algériennes revendiquant leurs droits (FARD). Depuis le début du mouvement, l’expérience de ces militants a été mise à profit pour l’organisation des débats publics quotidiens « Gaâda Boulitik », par exemple, et pour mettre en place des stratégies après les arrestations de manifestants. Mais il a aussi permis à la société civile de se renforcer. « Les organisations ont réussi à mettre de côté les questions d’égo. Ici, les activistes n’ont pas fonctionné en termes de carré. Il n’y a ni carré féministe, ni carré de parti politique. Le seul qui ait tenté d’exister, c’est le carré des islamistes, qui a été chassé par trois fois», raconte Fatma Boufenik. Pour cette militante de longue date, le mouvement de protestation a permis deux avancées majeures pour les acteurs de la société civile : l’union, dans le cadre des manifestations hebdomadaires oranaises, et la relance des discussions entre différents collectifs féministes du pays. Elle souligne malgré tout que ces avancées sont fragiles et que « les égos ne sont pas très loin». 

1er novembre 2020 : un référendum comme test de popularité 

Les Algériens ont pu remarquer un changement de style. Abdelmadjid Tebboune a donné plusieurs interviews à la presse nationale et internationale, alors que son prédécesseur ne parlait jamais aux journalistes algériens, et presque plus aux étrangers depuis son AVC en 2013. Le président élu le 12 décembre s’est aussi distingué dans la demande faite aux préfets de prendre leurs propres décisions dans la gestion de la pandémie de Covid-19, alors que les deux décennies précédentes étaient marquées par l’hyper-présidentialisation. Les promesses de réformes ont été multipliées tout au long de cette année. La nouvelle Constitution, promise dès l’élection d’Abdelmadjid Tebboune, devait symboliser le fait qu’une page se « tournait » après le mouvement de protestation. Un référendum a donc été fixé au 1er novembre, date anniversaire du déclenchement de la guerre d’Indépendance du pays. Un mélange de symboles qui avait fait grincer des dents. Pour les autorités algériennes, cela devait servir de test de popularité au nouveau Président et à ses promesses. Le « Oui » a bien été majoritaire. Mais la « victoire » n’en est pas vraiment une : seuls 23,7% des inscrits ont voté, un taux historiquement bas.

Depuis le 26 février 2021, les manifestations ont repris en Algérie. 15-38 continuera au fil des mois à suivre le mouvement et à décrypter les évolutions dans le pays.

L’intégralité de cet article est à retrouver dans le troisième numéro de la revue Une Année en Méditerranée, toujours disponible.