Covid-19 : En Italie, la crise sociale dans le sud

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Mis à jour le 15/10/2020 | Publié le 17/08/2020

La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a plutôt épargné le sud du pays. Mais les effets du confinement ont frappé de plein fouet une économie déjà fragile. En Sicile, associations et autorités locales sont en première ligne pour faire face à l’urgence sociale.

En plein coeur de l’été, les journaux continuent de rythmer le quotidien des Italiens avec les nouveaux cas de contamination de Covid-19. Les chiffres sont plutôt bons. Mais s’ils venaient à empirer, les avis sont unanimes : « Un deuxième confinement ? Personne ne pourrait se le permettre ! ». Du nord au sud du pays, autorités locales et associations tentent tant bien que mal de panser les plaies du premier confinement, décrété le 8 mars dernier en Italie et progressivement levé à partir du 4 mai. Selon une étude réalisée par le syndicat agricole Coldiretti et basée sur les distributions alimentaires effectuées pendant le confinement, les « nouveaux pauvres » sont près d’un million. Ils grossissent les rangs des 4,6 millions d’Italiens en situation de pauvreté absolue. La situation est particulièrement critique dans le sud du pays, le fameux « Mezzogiorno », qui concentre difficultés économiques et sociales. Près de 20% de ces nouveaux pauvres se trouvent en Campanie, 14% en Calabre et 11% en Sicile.
Dans certains quartiers de Palerme, la capitale sicilienne, « la situation est devenue critique dès la deuxième semaine », se souvient Giulia Di Martino, membre de l’association Arci Porco Rosso et SOS Ballarò, du nom de l’un des quartiers les plus populaires du centre-ville. « On a distribué des pâtes, de l’huile, de la sauce tomate, des couches pour les enfants », explique la jeune femme qui travaille depuis plusieurs mois à la régularisation du marché de l’Albergheria, sorte d’immense marché aux puces, dont les vendeurs tirent en moyenne vingt euros par jour. Avec le confinement, tous se sont retrouvés sans revenu du jour au lendemain. Surtout, faute de pouvoir justifier d’une activité en règle auprès des autorités, ces travailleurs au noir n’ont pas pu bénéficier des revenus d’urgence, débloqués par le gouvernement italien. « Ceux qui tenaient des commerces d’alimentation ont mangé leur marchandise mais évidemment au moment de rouvrir, il n’y a pas d’argent pour faire de nouvelles commandes », explique Alessandra Canizzaro, travailleuse sociale au sein de l’association Ikenga qui a organisé un système de bons de dix euros pour permettre aux familles en difficulté de payer leurs courses. « Certains parents ont pu recharger leur téléphone pour que les enfants aient accès à Internet et aux cours en ligne, une famille dont le restaurant a dû fermer et qui n’avait jamais eu de problème d’argent a pu acheter une bonbonne de gaz », poursuit la jeune femme. A Naples, puis dans d’autres villes italiennes, certains habitants ont suspendu à leur balcon des paniers, remplis de vivres, avec un mot : « Si tu as besoin, sers-toi ».

A Palerme, 8500 familles dans le besoin

Cinq mois plus tard, nombreuses sont les familles qui ont encore besoin d’un soutien économique. « Selon les secteurs, toutes les activités économiques ne sont pas reparties au même rythme et ceux qui ont repris travaillent souvent avec des salaires bien plus bas », explique Giuseppe Mattina, l’adjoint à la citoyenneté solidaire de la ville de Palerme, « pour certains c’est encore difficile, nous continuerons à les soutenir au moins jusque la fin de l’année ». Début juillet, la mairie a donc lancé un nouveau programme d’aide financière pour payer les courses mais aussi le loyer ou les factures de gaz, d’eau et d’électricité. Les services sociaux estiment à 8500 le nombre de familles qui pourraient encore avoir besoin d’aide sur les 675 000 habitants. Au plus fort du confinement, ce sont près de 33 000 demandes d’aides qui leur sont parvenues. Le chiffre pourrait être en dessous de la réalité. « Lorsqu’on a aidé les familles à s’inscrire auprès de la Protection civile, on s’est rendu compte que beaucoup de familles palermitaines n’ont pas de papiers en règle, ils n’ont pas de carte d’identité, pas de code fiscal, ils sont encore plus invisibles que les autres », raconte Vittoria Aricò, travailleuse sociale au sein de l’association NaKa, au coeur du quartier du Capo.
Tous le savent, au delà de l’enjeu social, l’urgence est aussi d’empêcher que la criminalité organise ne profite de cette crise. En Italie, c’est très souvent le cas après des catastrophes naturelles ou des moments de crise financière. « C’est à l’Etat de ne laisser personne seul », estime Giuseppe Mattina. « Chez quelques-unes des familles les plus défavorisées, on a vu que que certains tentent de se substituer à l’aide de l’Etat », détaille l’adjoint à la citoyenneté solidaire qui précise que le phénomène n’est pas diffus et ne concerne que quelques familles. Claudio Fava, le président de la commission d’enquête et de vigilance sur le phénomène mafieux et la corruption au sein de l’Assemblée régionale sicilienne met en garde : « Dans un moment de forte crise de liquidités mais aussi d’urgence sociale, Cosa Nostra et les mafias ont des liquidités disponibles et en profitent. Ce n’est pas par esprit caritatif mais pour créer des rapports de dépendance, intensifier leur contrôle. Ils prétendent aider pour ensuite demander un droit de péage et s’accaparer ce pour quoi ils ont fourni leur aide ».

Cécile Debarge

Photo : Dans le quartier de Ballaro, l’un des plus populaires de Palerme, certaines familles manquaient de vivres dès la deuxième semaine de confinement. Nombreuses sont celles qui se trouvent encore en difficulté aujourd’hui. Cécile Debarge