De Bruxelles aux champs de blé, une enquête dessinée sur les semences anciennes et leurs enjeux politiques et financiers

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Mis à jour le 20/02/2023 | Publié le 13/02/2023
Face au réchauffement climatique et à la surexploitation industrielle des sols en Europe, la production agricole n’a plus les mêmes rendements. Avec sa bande-dessinée Semences sous influences, Renaud de Heyn explique en quoi les semences anciennes ou locales sont une partie d'une solution qui ne plaît pas forcément à tout le monde.

Photo : Kei Scampa- Collectif Nourrir

La BD, sous forme d’enquête, passe des champs aux couloirs de la Commission européenne à Bruxelles. Son auteur décrypte autant la génétique que la logique des lobbies politiques. Premier rappel historique : les semences sont au cœur de l’histoire de l’agriculture depuis le Néolithique. Choix des graines parmi les variétés sauvages, moment de la moisson ; au fil des siècles les cultivateurs sélectionnent, récupèrent et sèment.

Aujourd’hui, la France est le 3ème exportateur mondial de semences et le premier producteur de semences en Europe. Un filon aux enjeux alimentaires, sanitaires et financiers colossaux, très encadré. Tout se joue au sein du catalogue des espèces et variétés nouvellement créées, où toute nouvelle variété doit être inscrite pour être autorisée à la vente depuis 1949.

Des entreprises se spécialisent alors dans le développement de semences toujours plus modernes (et donc toujours plus rentables) et cadenassent progressivement le marché de la semence. Les variétés locales sont oubliées, car leurs rendements ne sont alors pas à la hauteur.

Ce que nous apprend Renaud de Heyn, c’est tout l’intérêt de ces semences locales face aux changements climatiques, même si les études à leur sujet sont rares, comme l’explique une des personnes représentées dans l’ouvrage. Isabelle Goldringer est généticienne et directrice de recherche à l’INRA, Institut national de la recherche agronomique : « la recherche scientifique est essentiellement financée par le privé aujourd’hui. L’industrie oriente la recherche vers ce qui l’intéresse…vers ce qui est rentable pour elle, comme certaines techniques génétiques ».

Alors que des collectifs d’agriculteurs souhaitent revenir à des variétés anciennes, cela leur est rendu difficile du fait de la législation et de l’impossibilité d’inscrire ces variétés aux catalogues. Pourtant, l’intérêt pour les cultivateurs est réel selon le témoignage d’un agriculteur français : « les semences de catalogue ça va de moins en moins bien. Si tu ne dopes pas, t’as plus rien ». La lutte devient alors parfois judiciaire et européenne. Un combat que Renaud de Heyn raconte comme un match de boxe, parfois pas très égalitaire. A Bruxelles, pour 30 000 fonctionnaires travaillant à la Commission européenne, on compte 25 000 lobbyistes.

Renaud de Heyn, Semences sous influence, éditions La Boîte à Bulles, 2022, 80 pages, 16euros.