Dénoncer l’accaparement des terres, un enjeu crucial pour la souveraineté alimentaire des Palestiniens

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Mis à jour le 11/04/2023 | Publié le 03/04/2023
Dans la politique de domination de l’État d'Israël, la politique d’occupation et de colonisation grignote au fil des années les terres palestiniennes. Outre l’enjeu de territoire, cette politique a pour conséquence d’ôter des terres agricoles aux Palestiniens, alors même que le secteur tient une part importante dans l’économie et dans le mode de vie.

Récolte des olives – crédit photo UWAC

En 1995, les accords d’Oslo entérinent le partage des territoires de Cisjordanie en trois zones. Conçue au départ comme une étape vers un État palestinien souverain, la zone C entièrement sous contrôle israélien devait progressivement passer sous contrôle civil et militaire palestinien. A ce jour, il n’en est rien. La zone représente plus de 60% du territoire de Cisjordanie. Sous contrôle israélien, elle inclut les colonies israéliennes. Une répartition qui rend difficile voire parfois impossible la production agricole palestinienne, pourtant primordiale dans l’économie du territoire occupé. 

L’ONG UAWC (Union of Agricultural Work Comittees) estime que ce sont plus de 3,5 milliards de dollars par an qui sont perdus du fait de l’inaccessibilité de certaines terres : “une perte qui met la population en situation d’insécurité alimentaire”, explique Yasmeen el Hassan, chargée du plaidoyer et de la communication dans l’organisation créée en 1986 par un groupe d’agronomes palestiniens. 

“Israël contrôle la terre, les frontières, l’eau et tout ce qu’il y a au milieu”, ajoute-t-elle pour illustrer la situation. À Gaza, cela se traduit aussi par une restriction de la zone de pêche, qui n’est autorisée qu’entre 6 et 15 milles nautiques le long de la côte, alors que les accords d’Oslo l’avaient fixée à 20 milles : « On est passé de 10 000 pêcheurs enregistrés en 2000 à 3 500 aujourd’hui”, précise Anthony Dutemple, chef de mission de l’ONG Première Urgence Internationale (PUI). D’autant que la politique d’occupation s’accompagne aussi de confiscation d’outils ou de bateaux quand les pêcheurs s’aventurent hors de la zone. C’est le cas de Jihad el-Sissi qui se retrouve face aux tribunaux israéliens pour avoir jeté ses filets hors de la limite fixée depuis 2007, date de l’arrivée au pouvoir du Hamas à Gaza et du blocus mis en place par Israël. Un cas qui n’est pas isolé, le nombre de confiscations a augmenté en 2022 avec 23 saisies. Des saisies qui pèsent directement sur l’alimentation des Palestiniens de Gaza les privant d’une ressource alimentaire. 

Tout comme la récolte d’olives dont dépendent chaque année 100 000 familles, explique Anthony Dutemple. Ces récoltes représentent un moyen de subsistance mais aussi un moment de cohésion sociale fort. L’ONG recense pendant cette période plus de 300 attaques (récoltes volées, arbres vandalisés, etc.). Elles sont le fait des colons israéliens présents aux abords des zones agricoles. Première Urgence Internationale a documenté les attaques commises par les colons depuis plusieurs années. L’organisation note une augmentation dans le nombre et l’intensité de ces violences : “entre 2017 et 2022, on est passé de 10 à 30 attaques par semaine avec dommages et blessés en zone C”. Depuis le début de l’année, trois Palestiniens ont été tués par les colons et 579 blessés. Plus de 2250 arbres ont également été vandalisés selon les données de l’OCHA (Bureau de la coordination des affaires humanitaires) et de PUI. 

Une situation qui inquiète l’humanitaire et qui s’accompagne d’une stratégie de développement des avant-postes : “les colons installent des fermes et s’arment afin de relier les colonies entre elles. Leur stratégie est celle de l’intimidation. Elle vise à faire peur sans attaquer mais finalement l’effet est le même : de nombreuses familles vont s’installer ailleurs, de peur des attaques, ou ne viennent plus cultiver leurs champs”. L’ONG a d’ailleurs décidé de mettre en place un plaidoyer particulier à ce sujet car il est moins documenté. 

Pour l’association UWAC, l’un des enjeux est de soutenir la production agricole dans un contexte de difficultés d’accès aux terres et aux moyens de production. Car dans certaines zones, les terres sont accessibles seulement quelques jours chaque année, ce qui rend plus difficile de continuer à la cultiver. « D’autant que quand les paysans palestiniens arrivent enfin à s’y rendre, elles sont parfois polluées du fait du rejet d’eaux usées par certaines colonies israéliennes », détaille Yasmeen el Hassan.

L’ONG met en place plusieurs programmes pour aider les agriculteurs à irriguer ou à accéder à leurs cultures. Elle développe également une banque de semences depuis 2003. Cette banque réunit 45 espèces endémiques mises à dispositions des agriculteurs. “Des semences moins chères que celles proposées par Israël et plus adaptées aussi à la terre et aux conditions de culture », précise Sanah Karajeh de l’ONG UAWC. L’organisation défend ainsi la souveraineté alimentaire des Palestiniens, terme qu’elle a adopté afin de préciser le contexte dans lequel ces actions sont mises en place : “nous ne luttons pas contre l’insécurité alimentaire : les ressources, nous en avons, mais elles ne nous sont pas accessibles. Nous demandons une pleine souveraineté alimentaire avec des moyens d’accès et de production garantis”, précise Sanah Karajeh.