Droits des homosexuels en Tunisie : une avancée lente mais réelle

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Mis à jour le 01/10/2020 | Publié le 31/07/2019

La jeune démocratie fait figure de bonne élève pour les droits des homosexuels au Maghreb notamment grâce l’action de la société civile. Pourtant, la législation pénalise encore l’homosexualité.

Prison, torture et agression d’un côté ; associations, radio et festival ouvertement « gay friendly » de l’autre : la Tunisie, dont la législation punit jusqu’à 3 ans d’emprisonnement la sodomie, est un pays paradoxal pour les homosexuels. Si les militants estiment que la situation s’améliore depuis 2015, ils ont conscience que le chemin est encore long.

Officiellement, les relations sexuelles entre adultes du même sexe sont un délit en Tunisie. L’article 230 du code pénal punit jusqu’à trois ans de prison « l’homosexualité féminine et masculine ». Il n’existe pas de statistique officielle sur ces condamnations. L’association Shams en a dénombré 26 en 2019, il y en aurait eu 115 en 2018 selon une autre association, « Mawjoudine, we exist ». La plupart du temps, les peines ne dépassent pas 6 mois. Mais en 2015 – où a eu lieu un pic de tension entre autorités et communauté homosexuelle-, six étudiants avaient été condamnés à trois ans de prison ferme et à cinq ans d’interdiction de séjour dans leur ville de Kairouan, au centre du pays.

Pour prouver la relation sexuelle entre hommes, les policiers peuvent demander à un médecin légiste de pratiquer un test anal. Un examen censé déterminer la pratique régulière de la sodomie qui n’est pourtant pas fiable. Surtout, il est considéré comme une « torture » par les défenseurs des droits de l’homme. Le test n’est cependant pas automatique. Une personne accusée d’homosexualité peut en effet refuser le test. D’autant plus que les associations de défense des personnes homosexuelles ont beaucoup communiqué sur le sujet ces dernières années, alertant la communauté internationale et informant les premiers concernés sur leurs droits. Depuis janvier, Avocats Sans frontière a démarré un programme d’aide légale. L’ONG suit actuellement 12 affaires judiciaires. « Sur les 12, au moins trois personnes ont subi le test anal », explique Insaf Bouhafs, coordinatrice de projets chez ASF. « Nous suivons le cas d’une personne qui a dit oui sous la pression : les policiers ont tabassé une personne devant elle et elle a eu peur. D’autres disent oui par esprit de coopération ou ne sont pas au courant de leurs droits. C’est donc aussi une question d’accès à l’information sur les droits. »

Mohamed Ali Rtimi, trésorier de l’association « Damj pour la justice et l’égalité », estime qu’ « il y a moins de test anaux car les policiers ont peur de forcer la main. Cela peut aboutir à un acquittement. Et puis l’Etat tunisien ne veut pas en faire trop sur l’article 230 pour sauvegarder son image à l’international ».

Mais d’autres articles peuvent être utilisés contre les personnes homosexuelles. « Supprimer le 230 ne servirait à rien, nous militons pour supprimer tous les articles du 226 au 234. Ces articles traitent de la moralité et des mœurs. Ils violent les libertés individuelles. A l’inverse, nous avons besoin de lois pour protéger les personnes en situation de vulnérabilité », détaille Mohamed Ali Rtimi.
En prison ou pendant les procédures judiciaires, les gays sont confrontés aux vexations et parfois à la torture ou au viol. « Nous avons eu des cas de personnes obligées par les policiers de se déshabiller, de tailler une pipe ou de danser comme une femme. On peut également faire courir le bruit, dans la cellule où elle est enfermée, de son homosexualité. Elle est alors violée par ses co-détenus », explique Mohamed Ali Rtimi.

Au quotidien, les choses ne sont guère plus simples. « Le risque numéro 1 c’est la police. Le numéro 2 c’est la société », affirme Ali Bousselmi, co-fondateur, directeur exécutif de Mawjoudine we exist. « Ash »* en sait quelque chose. Né homme à Sidi Bouzid, ville marginalisée du centre tunisien, Ash se définit en femme qui aime les hommes. En juin, elle s’est enfuie de la maison familiale. Son père l’y avait enfermée après avoir coupé sa connexion Internet et tenté de lui prendre son passeport. Quelque temps plus tôt, il l’avait battue avec une casserole et elle avait dû être hospitalisée. Aujourd’hui réfugiée à Tunis, elle est soutenue par l’association Mawjoudin we exist et cherche un travail avec difficulté : « Je ne demande même pas aux restaurants et cafés s’ils ont besoin de quelqu’un par exemple. Ils ne m’accepteront jamais. » De même pour les soirées « il y a des lieux où l’on sait que nous ne sommes pas les bienvenues. » Dans la rue, Ash prend peur lorsqu’elle voit des policiers, mais sait garder son calme si on lui demande ses papiers. A 24 ans, elle a déjà effectué plusieurs formations qui lui ont permis de connaître ses droits et de se protéger : ne pas répondre aux tentatives d’humiliations des policiers – elle pourrait être accusée d’atteinte à un officier public dans le cadre de ses fonctions (article 125) -, effacer chaque jour ses messages privés sur son téléphone (qui pourraient servir de preuve), utiliser une application qui change les mots de passe régulièrement…

Le tableau n’est cependant pas tout noir. « La société civile a permis de faire avancer les choses. C’est une force : tout le monde travaille ensemble. Nous avons reçu le soutien d’artistes comme les actrices Fatma Ben Saïdane ou Nadia Boussetta », explique Ali Bousselmi. Son association a lancé, en 2018, le « Mawjoudin Queer Film Festival » à Tunis. La deuxième édition a eu lieu en mars, sans aucun problème. La soirée de clôture, qui a eu lieu à proximité du Ministère de l’Intérieur, a rassemblé plus de 1 000 personnes. « Nous avions des craintes, car certains invités sont venus habillés en femmes. Nous avons mis un panneau « soirée déguisée » par sécurité. Mais nous n’avons eu aucun souci. Les policiers sont venus à deux reprises pour nous dire « On respecte les libertés » », se souvient Ali Bousselmi. Une coalition Queer Maghrebine sera prochainement mise en place. Deux réunions ont déjà eu lieu en Tunisie « car c’est le pays le plus sûr du Maghreb pour nous », estime Ali. Mohamed Ali Rtimi se vante quant à lui d’avoir pu sortir le drapeau gay à deux reprises lors d’événements publics.

L’association Shams a, elle, lancé en 2017 une radio gay. La première du monde arabe. Après avoir reçu des menaces au début, « Shams rad », diffusée sur Internet, s’est installée dans le paysage. Au début de l’été, Mounir Baatour, porte-parole de Shams, a annoncé sa candidature à la prochaine élection présidentielle. Ouvertement gay, l’avocat souhaite porter sur le devant de la scène les questions liées aux droits des minorités sexuelles : « Ma candidature est le constat de l’échec de plusieurs années de combat et de lutte pour les droits LGBT. Elle s’est imposée dans le sens « on n’est jamais mieux servi que par soi-même. » » Il n’est cependant pas soutenu par l’ensemble de la communauté. Des associations, dont Mawjoudin we exist, ont en effet publié un communiqué et une pétition affirmant que « Mr Baatour représente non seulement une menace, mais aussi un énorme danger pour notre communauté. ». Le texte s’appuie sur des « plaintes recueillies par différentes organisations, de la part d’individus ayant rapportés avoir été abusés sexuellement par Mr Baatour » et sur « la stratégie d’outings (de Shams, ndlr) qui ne respecte pas la vie privée des individus et qui les expose à de nombreux dangers. ». Si la situation des personnes homosexuelles évolue en Tunisie grâce aux efforts de la société civile, celle-ci apparaît divisée. « Mais aucune communauté ne peut être totalement homogène. Et nous défendons justement la diversité », sourit un militant.

* Prénom modifié pour garantir la sécurité de l’individu.

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