Mathieu Courgeau : « En France, en moyenne, 74% du revenu des agriculteurs dépendent des aides de la PAC»

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Mis à jour le 20/02/2023 | Publié le 13/02/2023
Paysan en Vendée, Mathieu Courgeau est coprésident du collectif Nourrir, né en 2022 dans la lignée de la plateforme « Pour une autre PAC ». Le collectif regroupe 52 organisations françaises qui travaillent ensemble sur les enjeux d’agriculture et d’alimentation durable. Parmi les associations adhérentes, certaines viennent du monde agricole, d’autres de la protection de l’environnement, de la solidarité internationale ou encore de groupes de citoyens consommateurs.
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Photo : Karolina Grabowska/Collectif Nourrir

Quels sont les objectifs fixés par le collectif Nourrir ?

Notre but est de construire collectivement des solutions adaptées et validées par tous et ainsi de prouver qu’agriculture et société civile peuvent s’allier et réfléchir ensemble. Un des dossiers ouverts est celui de la Politique Agricole Commune (PAC), alors qu’une nouvelle feuille de route vient d’être annoncée jusqu’en 2027. Un groupe travaille sur l’élevage qui est au cœur de nombreuses controverses afin de penser l’élevage de demain. Un autre groupe aborde les questions de revenus des paysans et des échanges commerciaux. Un troisième groupe, l’enjeu de l’installation des nouvelles exploitations dans le cadre d’une consultation ouverte par le ministère de l’Agriculture français. Enfin, un dernier groupe traite de l’accessibilité de l’alimentation.

Comment faire travailler ensemble 52 organisations porteuses d’idées très variées sur ces sujets ?

Le collectif part de l’envie des organisations de travailler ensemble et de dépasser les clivages en se réunissant sous des positions communes. Notre but est d’abord de se mettre d’accord entre nous et de proposer des positions communes. Puis, nous allons voir les décideurs politiques dans une logique de plaidoyer et nous élaborons des campagnes de mobilisation citoyenne.

Notre organisation prévoit trois Assemblées Générales par an. Par ailleurs, un comité de pilotage qui réunit une quinzaine d’organisations désignées par les autres membres est chargé de la gestion administrative de la structure et se réunit une fois par mois. Enfin, des groupes de travail sont organisés sur les problématiques mentionnées précédemment.

Dans le cadre du projet de Loi d’Orientation Agricole, le ministère de l’Agriculture français a débuté en 2023 des consultations auxquelles votre collectif a participé. Quelles sont vos attentes concernant cette consultation ?

Nous souhaitons élever le niveau d’ambition de cette consultation. Toutes les organisations membres du collectif sont d’accord : c’est un sujet compliqué. La France a perdu 100 000 agriculteurs en 10 ans. Chaque semaine, une exploitation ferme. Par ailleurs, il semble difficile de relever les défis environnementaux actuels avec une population agricole déclinante et vieillissante. 

Tout l’enjeu est donc de convaincre de nouvelles personnes de s’installer. Cela passe par une réforme des parcours à l’installation, par la mise en place d’accompagnements conséquents pour les porteurs de projets mais aussi par la réforme de la formation. La moitié des agriculteurs sont proches de l’âge de la retraite, il est nécessaire d’attirer de nouvelles populations dans les campagnes.

Malgré une consultation inédite des associations et de citoyens, la feuille de route de la PAC 2022-2027 n’apporte pas de réforme importante du système européen de financement de l’agriculture. Quelle a été la réaction du collectif ?

La déception est forte. Nous avons travaillé sur le sujet et tenté d’influencer une nouvelle politique agricole pour l’Europe mais cela n’a pas suffi. La France n’a pas été assez ambitieuse et le combat était difficile. Des intérêts puissants s’expriment et sont plus forts que les nôtres. Mais agir sur cette politique reste l’un de nos principaux combats. Elle représente 9 milliards d’euros pour la France chaque année.  Nous ne regrettons pas d’avoir participé au débat mais nous sommes conscients de l’importance de nous renforcer pour obtenir de meilleurs résultats.

Je suis moi-même paysan en Vendée. J’ai 70 vaches laitières et une exploitation de 120 hectares certifiée bio. L’impact de la PAC est réel et nous avons une vraie dépendance au modèle actuel. En France, en moyenne, 74% du revenu des agriculteurs dépend des aides de la PAC. Cela paraît donc difficile de s’en passer. L’attractivité du métier passe par une meilleure rémunération issue des ventes des produits et non des subventions. D’autant que ces aides sont liées au nombre d’hectares des exploitations. La PAC favorise donc la concentration des exploitations. Cela pourrait au contraire être basé sur le nombre d’emplois créés ou sur d’autres critères qui poussent à une indépendance des agriculteurs et au respect de modèles de développement durables.

Qu’est-ce qu’il vous manque aujourd’hui pour avoir un réel impact sur ces politiques ?

Le processus de dialogue proposé est de fait inégal. J’ai participé il y a quelques années à un dialogue civil au niveau européen. J’étais alors membre d’une organisation syndicale :  nous étions deux participants de la même organisation. Face à nous, les représentants de deux grandes coopératives agricoles étaient 10 et les lobbies de l’agroalimentaire encore plus nombreux. La consultation est, de fait, biaisée. Par ailleurs, les budgets consacrés par les lobbies à ces questions sont énormes au regard de nos moyens. C’est un réel enjeu démocratique, que ce soit au niveau national comme européen.

Ces problématiques politiques à Bruxuelles s’ajoutent aussi à des enjeux agricoles complexes inhérents à la France. Nous héritons d’un système érigé dans les années 1950 avec des problèmes liés au foncier, à la propriété privée, à la fiscalité. Pourquoi nous ne l’emportons pas ? Cette question, nous nous la posons tous les jours. Beaucoup des points que nous portions dans la négociation pour la PAC n’ont pas abouti pour le moment, mais nous avons préparé le terrain pour l’avenir.