Mhammed Kilito : « Je souhaite produire un travail qui renforce la voix de ceux qui se battent pour la préservation de l’environnement où ils vivent »

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Mis à jour le 17/01/2023 | Publié le 09/01/2023
Le photographe marocain, membre du Collectif Koz, est l’auteur de « Before It’s Gone », un projet photographique à long terme qui met en lumière les problèmes complexes et multidimensionnels de la dégradation des oasis au Maroc et son impact sur ses habitants.

Situées dans des régions arides et semi-arides et considérées comme un rempart écologique contre la désertification et un important refuge pour la biodiversité, les oasis constituent un écosystème original, fondé sur le juste équilibre de trois éléments : l’abondance de l’eau, la qualité du sol et la présence de palmiers dattiers. Les palmiers dattiers avec leur feuillage en forme de parasol créent un véritable microclimat humide, ombragé du vent et favorable au développement des plantes. 

Depuis une vingtaine d’années, cet équilibre n’existe plus et ces îlots de verdure au milieu du désert subissent les impacts des activités humaines destructrices et du changement climatique. En effet, selon les statistiques officielles du ministère marocain de l’Agriculture, au cours du siècle dernier, le Maroc a déjà perdu deux tiers de ses 14 millions de palmiers. 

En 2019, Greenpeace a mis en garde contre la menace d’extinction qui pèse sur les oasis en raison de l’impact considérable des températures élevées sur leurs ressources en eau, entraînant une diminution des activités agricoles et d’élevage et le déplacement des populations autochtones. Selon l’organisation, la fréquence des sécheresses a augmenté au cours des vingt à quarante dernières années au Maroc, passant d’une fois tous les dix ans à une fois tous les cinq ans. 


Dans le dossier de présentation de votre projet, vous expliquez vouloir sensibiliser le public comme les décideurs. Quel impact l’art peut-il avoir dans le processus de sensibilisation selon vous ?

La photographie est un moyen d’expression artistique qui peut à la fois circuler facilement, faire réfléchir et sensibiliser. Je l’utilise parce que je me sens à l’aise avec le langage visuel et que c’est le moyen le plus efficace que j’ai en ma possession pour mettre en perspective une situation donnée. J’estime qu’un véritable impact peut avoir lieu si plusieurs personnes et structures ayant des compétences différentes sont mobilisées toutes ensemble. 

Pour le moment, je me concentre à développer un corpus photographique qui raconte le quotidien de ceux qui subissent l’impact du changement climatique et à produire un travail qui renforce la voix de ceux qui se battent pour la préservation de l’environnement où ils vivent. 

Aujourd’hui, nous sommes exposés à des milliers de photos par jour. Pour marquer les esprits, il faut montrer un travail original qui se distingue du reste. Je m’informe et me pousse à ré-imaginer les approches conventionnelles de la durabilité environnementale dans l’art. Je me répète souvent qu’il faut que je sois plus innovant et que je me dois de proposer de nouvelles idées qui remettent en question les perceptions classiques de la manière de gérer les problèmes climatiques. La photographie reste mon moyen d’expression artistique principal, mais depuis quelques mois j’explore d’autres possibilités et médiums que ce soit la peinture, l’installation ou la sculpture. Je collabore aussi avec des artisans pour valoriser le savoir-faire artisanal des régions oasiennes. Je sens parfois que des idées pourraient être mieux exprimées à travers d’autres médiums et je ne veux plus me limiter qu’à la photographie. 

Est-ce qu’il y a des choix artistiques que l’on fait différemment quand on veut sensibiliser ? 

En ce qui me concerne, ce sont plus des choix stratégiques que artistiques. Il est judicieux de bien faire ses recherches et de développer un plan de travail sur le long terme. Tout d’abord, par rapport au choix des institutions avec qui on va collaborer et comment elles peuvent avoir un réel impact sur la diffusion du projet à travers leurs plateformes. 

Dans le cadre de « Before it’s gone », une première partie du travail consiste à poursuivre la production artistique et la diffusion des photos dans des magazines, festivals, et expositions. Ensuite, il y a le programme Caravane dans lequel sont prévues des projections photographiques de « Before it’s gone », suivies de discussions dans les écoles et avec les habitants des oasis pour partager comment elles sont affectées par le changement climatique et discuter des solutions possibles. À travers ce programme, je cherche à avoir un fort impact local en proposant des ateliers photographiques destinés aux jeunes pour leur fournir les outils, les connaissances et les ressources nécessaires pour devenir des reporters indépendants et des acteurs actifs dans la documentation et la défense environnementale de leurs localités. Durant les dernières années, j’ai collecté auprès de photographes, de membres de ma famille et d’amis, des appareils photo numériques usagés qui sont encore en état pour faire des reportages. J’offrirai un ou deux appareils photo avec des cartes mémoires à chaque village où je ferai l’atelier afin que les jeunes puissent les utiliser pour documenter leurs propres réalités. Enfin, j’envisage de publier un livre photo afin de rendre ces questions et ces histoires plus accessibles. L’idée derrière est de permettre au projet de vivre et de circuler un peu partout, même quand il n’y a pas d’exposition.