Non, monsieur le Président, ce n’est pas aux historiens de qualifier le génocide des Palestiniens

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Publié le 18/06/2025
Tribune d'abord publiée le 8 juin sur le site du journal L'Humanité et dans l'édition papier du 18 juin. Nous la relayons ici.

Monsieur le Président,

Les avocats signataires de la présente tribune vous accusent.

D’irresponsabilité, lorsque vous vous retranchez derrière les historiens de demain, à qui « il appartiendrait de qualifier le crime de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité », quand vous ne pouvez ignorer que cela est du ressort, aujourd’hui et sans plus attendre, des juristes et des juridictions internationales.

D’attentisme coupable, préconisant de compter les morts et renonçant à sauver des vies humaines. L’histoire raconte, mais elle ne protège, ni ne sanctionne. Seule, la justice le peut, elle en assume le devoir.

D’inertie donc, détournant le regard et tergiversant, alors que, chaque jour, s’accroît le tas de cadavres des civils Palestiniens, dont des milliers d’enfants.

De manque de courage, tolérant que la nécessité absolue de la condamnation des auteurs des attentats terroristes du 7 octobre 2023 et de la libération des otages détenus par le Hamas, soit opposée en justification des dizaines de milliers de civils Palestiniens morts, déplacés, affamés, non soignés, et de la colonisation brutale et violente de la Cisjordanie.

Ils vous accusent d’ignorer la Convention de 1948 sur la prévention et la répression du génocide, dont la France est signataire, et qui impose d’empêcher, de combattre et de punir ce crime que notre Code pénal qualifie de crime contre l’humanité.

De fermer les yeux sur les alertes de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme soulignant que la situation en Territoire palestinien occupé est « non seulement inacceptable, mais le résultat d’une politique assumée de destruction de Gaza et de déportation massive de sa population », qui « renvoie à une intention génocidaire ».

D’ignorer les mandats d’arrêt lancés le 21 novembre 2024 par la Cour pénale internationale à l’encontre de Benyamin Netanyahou, premier ministre, et Yohav Gallant, ancien ministre de la défense de l’État d’Israël, concluant « avoir des motifs raisonnables de les considérer coupables des crimes suivants :

– D’affamer des civils comme méthode de guerre, constitutif d’un crime de guerre, et de crime contre l’humanité de meurtre, persécution et autres actes inhumains »,

« du crime de guerre consistant à diriger intentionnellement des attaques contre la population civile »,

« De priver la population civile de Gaza de biens indispensables à sa survie, y compris de nourriture, d’eau, de médicaments et de fournitures médicales, ainsi que de carburant et d’électricité »,

– D’entrave « à l’apport d’une aide humanitaire en violation du droit international humanitaire »,

– D’être à l’origine « du manque de nourriture, d’eau, d’électricité et de carburant, ainsi que de fournitures médicales spécifiques, afin de créer des conditions de vie calculées pour entraîner la destruction d’une partie de la population civile de Gaza, ce qui a provoqué la mort de civils, y compris d’enfants, pour cause de malnutrition et de déshydratation »,

« D’infliger de grandes souffrances au moyen d’actes inhumains sur des personnes ayant besoin de soins, ce qui constitue le crime contre l’humanité d’autres actes inhumains ».

« De priver une partie significative de la population civile de Gaza de ses droits fondamentaux, y compris le droit à la vie et le droit à la santé »,

« De cibler la population pour des motifs politiques et/ou nationaux, commettant ainsi le crime contre l’humanité de persécution ».

De faire fi de la Cour internationale de Justice, des mises en garde des juridictions internationales, des alertes des organisations humanitaires qui documentent la situation désespérée d’une population décimée, déplacée, affamée et colonisée.

Monsieur le Président, les avocats vous accusent d’ajouter au malheur de Gaza en refusant de nommer les choses en restant sourds aux alarmes des juristes qui qualifient de génocide le fait d’affamer intentionnellement les civils et de les priver délibérément, en toute connaissance de cause, de biens indispensables à leur survie.

D’illégale passivité, exposant la France à l’engagement de sa propre responsabilité pénale devant les juridictions internationales pour complicité de génocide du fait de son inaction en violation de ses obligations internationales.

De complaisance scandaleuse, tolérant, à l’inverse de nos dignes voisins, le survol illégal comme contraire au Statut de Rome, de notre espace aérien par un chef de gouvernement sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crime contre l’humanité.

D’apathie et de renoncement, constatant amèrement que nonobstant vos récentes incantations, l’oubli des mots d’Elie WIESEL : « la neutralité aide l’oppresseur, jamais la victime, le silence encourage le persécuteur, jamais le persécuté. »

Monsieur le Président, outre l’indispensable reconnaissance annoncée de l’État Palestinien, vous avez le pouvoir et le devoir de faire entendre la voix de la France, d’imposer une enquête internationale sous l’égide de la Cour pénale internationale et des organes de l’ONU, de suspendre toute coopération militaire, d’exiger que cessent ces violations graves et renouvelées du droit international, et du droit humanitaire.

Les robes noires n’ont qu’une passion, celle de la justice, au nom de l’humanité qui souffre tant. L’histoire ne qualifiera pas le génocide en cours, mais elle vous jugera. Et cette fois, nul ne pourra dire qu’on ne savait pas.

Liste des 2 200 signataires de la Tribune sur le site de l’Humanité.