Savoir reconnaître les formes de dominations d’Israël

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Mis à jour le 11/04/2023 | Publié le 27/03/2023
Les Assises pour la Palestine se sont tenues du 23 au 25 mars à Paris. Trois jours de rencontres, de débats, d’échanges, entre organisations de solidarité françaises et ONG palestiniennes de la société civile. Une démarche d’interconnaissance pour reposer les bases de la dialectique actuelle entre dominations et émancipation.

La salle de l’auditorium du centre Niemeyer à Paris – photo de Janna Aribi

Ce jeudi 23 mars, jour de mobilisation en France contre la réforme des retraites, les regards des organisatrices sont un peu stressés. Tous les invités vont-ils parvenir à rejoindre le centre Niemeyer dans le 19ème arrondissement de Paris ? Au fil des minutes et du balais des valises à roulettes, les sourires reviennent et le soulagement finalement se lit lorsque la session inaugurale des Assises pour la Palestine est introduite sous le dôme éclairé de l’auditorium de l’ancien siège du Parti communiste français. 

La Plateforme des ONG Françaises pour la Palestine peut lancer officiellement cette première édition, comme un défi : des représentants de 10 ONG palestiniennes sont parvenus à rejoindre la France. Ils vont pouvoir animer aux côtés des membres de la Plateforme les ateliers proposés au cours des trois journées. Le programme est dense et l’objectif clair pour l’association qui réunit 39 organisations de solidarité internationale en faveur des droits des Palestiniens lancée en 1993 : il s’agit de redonner des bases communes aux argumentations, de discuter, témoigner, débattre et permettre de partager des analyses et des expériences afin de nourrir le travail de terrain et de plaidoyer des ONG. 

“Occupation et justice sont deux mots qui ne peuvent cohabiter”

L’événement n’est pas ouvert au public, pour ne pas risquer, notamment, d’éventuelles interruptions d’activistes pro-israéliens. La Palestine peine à être portée en haut des agenda politiques et médiatiques en France. Et la situation actuelle en Israël ne rend pas les participants optimistes. Comme le rappellent les différents intervenants de la première matinée, le gouvernement de Benyamin Netanyahu nommé en décembre 2022 est l’un des plus ouvertement ancré à l’extrême droite parmi les gouvernements de ces dernières années : “une situation qui ne saurait faire oublier que ce gouvernement, s’il est plus radical dans son approche, suit la droite ligne de la politique israélienne depuis les accords d’Oslo”, précise François Leroux, président de la Plateforme. 

Reste les chiffres, premières ressources pour appuyer et donner forme au système d’occupation et de colonisation et au régime d’apartheid de l’Etat d’Israël. “Depuis le 1er janvier, 85 Palestiniens ont été tués par l’armée et 62 familles ont perdu leur maison”, indique Thomas Vescovi, chercheur en histoire contemporaine, en prélude de son introduction. “Sans protection ni instances opérantes pour les représenter et défendre leurs droits, l’objectif de justice pour les Palestiniens semble lointain”, complète-t-il. “Occupation et justice sont deux mots qui ne peuvent cohabiter”, lance Salah Hamouri sur la scène. Cet avocat, défenseur des droits humains, a été détenu pendant 10 ans dans les prisons israéliennes. En décembre 2022, ce résident de Jérusalem Est a été expulsé vers la France (dont il détient également la nationalité). Son témoignage et son parcours donnent un visage à la justice militaire appliquée partout en Palestine. 

Discussion d’ouverture des Assises pour la Palestine au centre Niemeyercrédit Janna Aribi

Depuis 1967, plus de 850 000 Palestiniens ont été détenus partout en Israël. “Toutes les familles sont touchées”, précise un rapport de la Plateforme “une menace permanente qui agit comme une chape de plomb sur la société palestinienne avec pour objectif de briser l’esprit de résistance à l’occupation”. La Plateforme détaille les formes de violations des droits des prisonniers avec des tortures physiques, des privations de nourriture, des entraves à la visite des familles et des détentions administratives sans inculpation ni jugement pouvant être renouvelé indéfiniment. 

Vivre sous domination

Tout au long des Assises c’est bien le caractère systémique de la domination qui est présenté. Un régime d’apartheid, comme l’ont montré différents rapports (comme celui d’Amnesty International en février 2022). Mais qui ne saurait à lui seul définir la politique d’occupation et de colonisation (https://plateforme-palestine.org/Colonisation) mise en place par Israël depuis les accords d’Oslo, comme ont tenu à le rappeler plusieurs des participants. (Voir notre entretien). 

Vivre sous domination, c’est d’abord faire face à une restriction quotidienne des libertés qui passe notamment par un contrôle de l’espace. Pour Jamil Kadi, membre de l’association FSGT, il y a plusieurs étapes à ce contrôle territorial. “A partir de 1948, l’Etat israélien décide d’abord de s’emparer des territoires palestiniens mais aussi de séparer les villages restants pour rompre la continuité territoriale. Cette politique passe aussi par l’effacement des villages détruits (environ 400). À certains endroits, des arbres ont été plantés. Après des incendies, il n’est pas rare de retrouver des traces de ces villages sous les arbres calcinés. Elle transforme aussi les Palestiniens d’Israël en Arabes qui habitent Israël, effaçant ainsi la dimension collective du peuple palestinien”. En 1967, après la Guerre des Six Jours, s’ajoutent à ces objectifs ceux d’empêcher le développement naturel des villes et de bloquer la continuité territoriale avec la Jordanie. Les colonies sont en ce sens un outil central car elles viennent fractionner le territoire. Les checkpoints entravent aussi toute liberté de circulation et sont le lieu de contrôle. “Avec 700 points sur l’ensemble du territoire, Israël est en capacité de bloquer le territoire en 5 minutes”, relate Jamil Kadi. Enfin, le mur poursuit l’objectif de s’emparer des territoires, d’empêcher le développement de certains quartiers et de bloquer la circulation. 

Tout cela a un impact concret et quotidien sur les Palestiniens rappelle Jamil Kadi, qui parle notamment de l’intériorisation des contraintes par les Palestiniens, les poussant à un auto-contrôle notamment aux checkpoints avec des règles non-écrites à respecter : ne pas courir, ne pas porter de vêtements amples, ne pas cacher son activité, pour finalement ne pas paraître suspect. 

Un coût psychologique de la domination qu’illustre également l’intervention de Baptiste Sellier, chercheur en sociologie qui mesure l’impact de la discrimination par la loi. Face à un décret d’expulsion, une famille palestinienne se retrouve en effet désarmée et confie généralement son sort à des avocats qui doivent composer avec des codes en hébreu et à l’inexistence de processus type. L’emprise du droit israélien individualise les cas et fragmente la population. “Elle permet finalement en encadrement social et occulte les violences induites par le système juridique : déplacements de population, emprisonnements, vols de terre, etc.”, explique Baptiste Sellier. 

Continuer de documenter et débattre

Dans l’auditorium comme dans les salles d’ateliers, ces notions de coût psychologique, d’accaparement des terres, d’occupation ou de contrôle des corps et des esprits prennent un visage concret. Activistes, chargés de plaidoyer, les intervenants palestiniens conviés à prendre la parole ont des parcours différents. Certains vivent à Ramallah, Haifa, d’autres hors de la Palestine. Chacun permet de toucher du doigt l’une des facettes du système de domination mis en place par l’Etat d’Israël. Dans les couloirs du centre Niemeyer lors des pauses, quand les participants reprennent leur souffle entre deux ateliers, on sent l’envie de poursuivre les échanges, de créer des ponts entre les associations. Sana Karajeh, membre de l’ONG UAWC (Union of Agricultural Work Committees) le souligne lors du bilan : “c’est une chance de pouvoir être réuni, y compris avec des structures palestiniennes que nous connaissons peu et qui agissent avec nous sur le terrain”

Son association a été placée sur la liste des structures terroristes par l’Union européenne à la fin de l’année 2022. Un instrument supplémentaire pour limiter les moyens des organisations de la vie civile de soutenir et organiser la société palestinienne. Pour Baptiste Cellier, ces atteintes à la liberté d’association via la criminalisation des structures souligne l’importance de penser l’articulation des échelles de résistance. 

Un écho à la phrase lancée par Nijmeh Ali lors de la discussion d’ouverture des Assises : “Que faire face à tout cela ?”. L’enseignante chercheuse en sciences politiques et activiste palestinienne propose des pistes :  “Documenter ce qui se passe afin d’être prêts pour présenter ces documents quand cela sera nécessaire. Continuer de porter le débat sur les Palestiniens en soutenant et diffusant la parole des ONG, militants, et habitants sur place”. 

Pour Salah Hamouri, les réactions palestiniennes face aux agressions commises à Jérusalem Est et à l’offensive contre la bande de Gaza en mai 2021 donnent un espoir : “c’était la première fois depuis 1948 que nous nous sommes unis derrière un slogan clair”, rappelle-t-il. Mais quand la solution des deux Etats est finalement évoquée par un militant français qui regrette qu’elle ne soit plus au centre des revendications, Nijmeh Ali lui répond : “Je n’ai pas de solution à vous proposer. Non pas parce qu’il y en a pas, mais parce qu’actuellement nous n’avons pas la possibilité de nous réunir et de débattre entre nous de ce que nous voulons en tant que Palestiniens. Nous n’avons ni élections, ni liberté d’expression. Luttons d’abord pour faire naître ce débat et ensuite nous pourrons présenter des pistes de solutions que ce soit celle de deux États ou pas”.


Chiffres clés

Zones de contrôle de la Cisjordanie établies après les accords d’Oslo en 1993

(source Plateforme des ONG françaises pour la Palestine – “La question de Palestine, pas si complexe”, 2019)

Zone A : environ 18% de la Cisjordanie. Sous les contrôles civils et policiers palestiniens. Interventions militaires israéliennes régulières.

Zone B : environ 21% de la Cisjordanie. Officiellement sous contrôle civil palestinien et sous contrôle militaire israëlien. 

Zone C : environ 61% de la Cisjordanie. Sous contrôles civils et militaires israéliens. Elle divise les zones A et B et concentre une majorité des terres fertiles et des ressources en eau de la Cijordanie. 

Zones militaires fermées et zone tampon de la vallée du Jourdain. Accès interdit aux Palestiniens. 

Zones fermées derrière le mur. Accessibles avec un permis. 

Carte interactive de l’organisation B’Tselem

Population  : 4 976 684 dont 2,98 millions en Cisjordanie et 1,98 million dans la bande de Gaza.

Superficie  : 6 020 km2 – 5 655 km2 en Cisjordanie et 365 km2 dans la bande de Gaza

Densité  : 794 hab/km2522 hab/ km2 en Cisjordanie et 5 375 hab/ km2 dans la bande de Gaza

Villes principales : Gaza City, Hébron, Naplouse, Jénine, Bethléem, Jérusalem-Est et Ramallah. 73,9% des Palestiniens vivent dans les villes.

Chronologie

https://plateforme-palestine.org/La-chronologie-de-la-question-israelo-palestinienne