« Tous les États partie à la convention sur le génocide doivent agir pour prévenir les actes dans un génocide en cours »

Rédigé par :
Publié le 27/06/2025
Dans le contexte du récent arraisonnement de la flottille Madleen dans les eaux internationales au large de Gaza, 15-38 s’est entretenu avec Rafaëlle Maison, professeure de droit public, sur les recours juridiques prévus dans le cadre du droit international. Au-delà du symbole porté par les membres de la flottille, l’enjeu de l’accès à l’aide humanitaire et plus globalement des crimes génocidaires en cours sont des incitations explicites à agir pour les États ayant ratifié la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.

Audiences publiques consacrées à la demande d’avis consultatif sur les Obligations d’Israël en ce qui concerne la présence et les activités de l’Organisation des Nations Unies, d’autres organisations internationales et d’États tiers dans le Territoire palestinien occupé et en lien avec celui-ci. Avec l’aimable autorisation de la CIJ. Tous droits réservés.

CC – Peut-on imaginer des poursuites contre l’Etat israélien après l’arraisonnement du Madleen dans les eaux internationales au large de Gaza ?

RM – L’arraisonnement du navire en Haute mer par l’armée israélienne est un acte interdit en droit international puisque c’est une zone de libre circulation. Les États peuvent exercer des pouvoirs de police, mais de manière très restreinte ; dans les cas de trafic d’esclaves, trafic de migrants.

Le droit de la mer, la convention de Montego Bay, encadre cela. Et même si Israël n’est pas partie à cette convention des Nations Unies, cela relève également du droit coutumier, c’est à dire du droit qui est obligatoire même pour les États qui n’ont pas ratifié la convention.

Cet arraisonnement est donc irrégulier.

Comment cela se résout ? Comme le bateau bat pavillon britannique, ce serait donc au Royaume-Uni de protester selon le droit international. Mais comme le Royaume-Uni est un allié très proche d’Israël, le pays ne l’a pas fait pour le moment.

Par ailleurs, comme ce navire cherchait à accéder à Gaza pour délivrer de l’aide humanitaire, c’est en quelque sorte une entrave à la délivrance d’aide humanitaire à Gaza. Or, on a, en droit international, des éléments très clairs puisque la Cour internationale de justice dans sa 2e ordonnance à propos de Gaza le 28 mars 2024, a ordonné à Israël de cesser toute entrave à l’aide humanitaire.

En 2010, dans l’affaire du Mavi Marmara, la Cour pénale internationale avait été saisie par l’Etat des Comores (dont le bateau battait pavillon). Le procureur de la CPI n’avait pas souhaité enquêter mais à ce moment-là, les juges étaient tout à fait favorables à une enquête et faisaient notamment valoir que la victime indirecte était le peuple de Gaza qui n’avait pas pu voir arriver l’aide humanitaire du navire.

Il apparait donc possible de faire entrer cet arraisonnement et ce déroutement dans le dossier relatif au génocide de Gaza et à l’entrave de l’aide humanitaire porté par l’Afrique du Sud auprès de la Cour Internationale de Justice.

CC – Cette question de l’aide humanitaire est au centre de ce dossier devant la Cour Internationale de Justice, comment cela s’articule ? 

RM – Des audiences ont eu lieu à la CIJ il y a quelques semaines concernant la législation israélienne qui cherche à supprimer l’UNRWA, et sur la question de l’entrave à l’aide humanitaire délivrée par l’agence onusienne ou par des ONG à Gaza. L’Assemblée générale des Nations unies a fait une demande d’avis qui devrait être rendue assez rapidement. Cette demande touche également l’existence de cette pseudo fondation humanitaire qui est plutôt une fondation de mercenaires. Même si on n’a pas toutes les informations, cette fondation peut apparaître comme une forme de camouflage humanitaire.

Avec l’aimable autorisation de la CIJ. Tous droits réservés.

Les gens ont faim, les enfants meurent, ils ne peuvent pas récupérer de l’aide, ils ne peuvent plus communiquer. Ils sont dans une situation typique décrite dans la Convention sur le génocide notamment à l’article 2, paragraphe c, qui évoque la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle. Le siège criminel de Gaza qui s’accompagne de bombardements pourrait conduire très rapidement à la disparition du peuple palestinien de Gaza.

CC – A propos de cette caractérisation de génocide qui est documentée et argumentée dans plusieurs rapports de l’ONU depuis plusieurs mois, il y a aussi la notion de prévention qui fait partie intégrante de la Convention qui s’intitule : Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Qu’est-ce que cela implique pour les États ayant ratifié cette Convention ?  

RM – La Convention sur le génocide n’est pas une convention de commémoration. Bien sûr, elle permet de punir, mais son objectif c’est d’abord de prévenir. La Cour internationale de justice a clairement affirmé dès le mois de janvier 2024 qu’il y avait un risque de génocide.

Tous les États partie à la convention sur le génocide, y compris la France, doivent donc agir pour prévenir le génocide ou pour prévenir les actes dans un génocide en cours.

Certains essaient d’évincer le mot génocide en parlant de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité. Certainement, mais ce n’est pas le même régime. Dans la Convention sur le génocide, vous avez une obligation d’agir pour prévenir. Et cette obligation d’agir, elle est d’autant plus forte que vous avez une capacité d’influence sur l’auteur du crime.

Pour faire appliquer le droit international, il n’y a pas de force de police internationale. Le Conseil de sécurité peut éventuellement prendre des mesures, mais il est bloqué par le veto des États-Unis, voire d’autres États occidentaux. Donc vous avez des moyens très limités d’imposer aux États leurs obligations.

Ensuite, on peut saisir le Conseil de sécurité en rapport avec les ordonnances de la CIJ. Et c’est ce que l’Algérie avait cherché à faire en mai 2024, au moment de l’offensive sur Rafah, donc au moment de la dernière ordonnance de la Cour en présentant un projet de résolution au Conseil de sécurité. Il était évident qu’il ne serait pas passé au regard du veto étatsunien, mais à cette époque-là, les États-Unis ont détourné l’attention du génocide en évoquant l’adoption d’un accord de cessez-le-feu.

La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire principal des Nations Unies, rend son ordonnance sur la demande tendant à la modification et à l’indication de mesures conservatoires présentée par l’Afrique du Sud en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), le 24 mai 2024. Pour en savoir plus: www.icj-cij.org

Ce qui frappe aujourd’hui par rapport à d’autres situations génocidaires qu’on a pu connaître depuis les années 1990, c’est que tout est bloqué au Conseil de sécurité. Pour l’ex-Yougoslavie, un embargo sur les armes avait été décidé. Une opération de maintien de la paix disposant de moyens militaires pour acheminer l’aide humanitaire ou pour protéger des zones de sécurité avait été mise en place. Pour le Rwanda, on avait aussi un embargo sur les armes décidé par le Conseil de sécurité et puis une opération de maintien de la paix.

C’est vrai qu’on peut déplorer les insuffisances structurelles du droit international. Mais il ne faut pas oublier quelle est la spécificité de la situation géopolitique ; c’est à dire un génocide commis avec le soutien d’alliés très puissants, que ceux qui cherchent à faire y mettre un terme (comme l’Afrique du Sud, le Nicaragua, les États dits du groupe de La Haye) n’ont pas les moyens de confronter. C’est l’impunité.

Face à cela, il faut essayer de trouver d’autres options juridiques. Comme par exemple la possibilité de mettre en place des sanctions économiques, des mesures contre les livraisons d’armement.

L’Assemblée générale peut être un relais juridique si le Conseil de sécurité est bloqué. C’est ce qu’elle avait fait lors de la crise de Suez, en 1956 en créant une opération de maintien de la paix. Elle pourrait aussi recommander une zone d’exclusion aérienne au-dessus de Gaza comme cela avait été fait pour la Libye. Cela pourrait aussi passer par une intervention d’humanité, dont il avait été question au moment de la guerre du Kosovo.

On pourrait également se baser sur une idée de légitime défense collective puisqu’un certain nombre d’États estiment que la Palestine fait l’objet d’une agression. C’est ce que dit aussi l’Autorité palestinienne à l’ONU et d’autres États aussi. Quand vous faites l’objet d’une agression, vous avez le droit à la légitime défense et cette légitime défense peut être collective.

Un autre aspect porte sur les mouvements de résistance en cours. En droit de la guerre, les mouvements de résistance sont évoqués par la 3ème Convention de Genève. Dans le cas présent, en situation génocidaire, la résistance est autorisée. Or dans le discours occidental, à l’heure actuelle, il faut désarmer les combattants palestiniens. La rhétorique de la guerre contre le terrorisme a bouleversé les catégories. Mais au niveau des Nations unies, ces groupes ne sont pas caractérisés comme terroristes.

Cela fait écho au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui a été élaboré au niveau des Nations unies dans les années 1960 par l’Assemblée générale des Nations unies. Ce droit prévoit que lorsqu’il n’est pas possible d’accéder à l’émancipation par des moyens pacifiques, la lutte armée est autorisée et les États tiers sont tenus d’aider le peuple qui cherche à s’émanciper, même s’il le fait par le moyen de la lutte armée.

Toutes ces propositions encadrées par le droit international démontrent que les États ont des moyens d’action, mais qu’ils ne sont pas mis en œuvre.