Airbnb dans le viseur des municipalités méditerranéennes

Mis à jour le 27/03/2023 | Publié le 20/03/2023
Conséquence du tourisme de masse, le développement des locations touristiques a un impact sur la vie des habitants des villes méditerranéennes. Hausse des loyers et changements profonds dans la vie des quartiers provoquent colère et mobilisation. Aujourd'hui, des villes s'engagent à lutter contre le géant des ces locations à court terme : Airbnb. La mairie de Barcelone fait figure de précurseur. Aujourd'hui, Marseille veut lui emboîter le pas.

« Au début, beaucoup nous disaient que ce serait un désastre, que cela arrêterait l’économie et, maintenant, nous sommes un exemple en Europe pour la régulation des logements touristiques ». En campagne à sa réélection, Ada Colau, maire de Barcelone de la gauche alternative, ne cache pas sa fierté. À la tête de la capitale catalane depuis 2015, elle a fait de la lutte contre les appartements touristiques illégaux, ceux qui n’ont pas de licence, l’un de ses premiers combats.

Depuis l’été 2016, par équipe de deux agents souvent polyglottes, des inspecteurs sonnent directement aux portes des appartements signalés par des voisins ou repérés par leur service sur internet. « Bonjour, je travaille pour la mairie, vous parlez espagnol ? Vous vivez dans cet appartement ? ». Une fois les vérifications faites, ces inspecteurs émettent un rapport qui débouche – si l’irrégularité est constatée – sur une amende pouvant atteindre 60 000 euros pour le propriétaire.

Quant aux nouvelles licences pour les logements à usage touristique (VUT), elles avaient été gelées en 2014 par la précédente municipalité après plusieurs grandes manifestations anti-tourisme notamment dans le quartier de la Barceloneta, près de la plage. Le plan de la nouvelle mairie en 2017 a entériné cette mesure : aucune nouvelle VUT n’est octroyée dans le centre de la ville tandis que, dans les quartiers (très) périphériques, ce n’est qu’en cas de fermeture d’un logement touristique qu’une licence pourrait être donnée.

«Tourism kills the city»

À Barcelone, dès lors, les voisins veillent dès qu’ils entendent parler étranger dans la cage d’escaliers. La délation est promue sur un site dédié et même l’organisation patronale du tourisme et de l’hôtellerie soutient cette chasse aux logements illégaux. « Ces locations provoquent la gentrification qui expulsent les habitants et génèrent beaucoup de conflits », rappelait encore l’adjointe au logement, Janet Sanz, il y a quelques semaines au Parlement européen.

Touristes au centre-ville de Barcelone – Samuel Bregolin

Il faut dire qu’à l’époque de son entrée en vigueur, Barcelone comptait 16 000 appartements touristiques soit 8% de son parc locatif. Dans certains quartiers, comme la Dreta de l’Eixample ou la Vila Olímpica, ce taux atteignait même 25%. Quant aux logements illégaux, ils représentaient 40 % des annonces publiées.

Ce marché parallèle a expulsé les Barcelonais du centre-ville et a surtout favorisé l’explosion des prix des loyers : en 2016, Barcelone était devenue la ville espagnole où les loyers étaient les plus chers et avec la plus forte augmentation du pays. En à peine trois ans, le prix des loyers avait bondi de 33 % dans un pays où près de la moitié des jeunes étaient au chômage et 80% vivent encore chez leurs parents, faute de trouver un logement abordable.

Des autocollants « Tourism kills the city » ou des graffitis « Tourists go home » ont commencé à proliférer sur les murs de la ville, particulièrement aux abords des quartiers les plus visités et les moins peuplés de Barcelonais. Plusieurs associations se sont même directement mises à aider les autorités locales en réservant et occupant les logements touristiques illégaux où les propriétaires véreux recommandaient de « ne pas ouvrir » aux agents de la ville en cas de contrôle.

La collaboration forcée d’Airbnb

Mais Barcelone avait surtout besoin de la coopération des plateformes de locations touristiques, considérées comme collaboratrices passives de cette activité illégale. La nouvelle législation les a obligés à supprimer toute annonce ne mentionnant pas le numéro officiel de licence touristique, sous peine d’amende. Tous se sont pliés à cette règle dès le départ… sauf Airbnb. Après plusieurs mois de bras de fer, Ada Colau annonçait finalement un accord en mai 2018 : « les sanctions ne sont pas la voie idéale pour nous, mais l’amende de 600 000 € a eu son effet parce que maintenant ils veulent bien dialoguer ».

Dès le 1er juin 2018, Airbnb a donc introduit sur son site un nouvel outil obligeant le propriétaire à ajouter le numéro de licence de son logement. En outre, les nouveaux hôtes doivent accepter que leurs données personnelles soient communiquées aux autorités locales pour leur vérification.

Image extraite du site airbnb.fr

Aujourd’hui, avec toujours 70 agents surveillant les petites annonces et patrouillant dans la ville, la mairie se vante d’avoir « mis fin à la prolifération incontrôlée de cette activité » et elle en veut pour preuve les chiffres présentés en décembre dernier. Depuis le début de l’opération, la mairie a analysé 54 093 petites annonces, émis 18 185 rapports disciplinaires qui ont dérivé en 7 749 ordres de cessation d’activité et 9 336 sanctions. Des 6 000 logements illégaux en 2016, « la ville est passée à un chiffre proche de 0 », assure la mairie.

Les nouveaux spéculateurs

Mais la spéculation immobilière n’a pas disparu et le logement reste l’une des trois principales préoccupations des Barcelonais. Désormais, les fonds d’investissements qui rachètent des immeubles entiers convertissent les logements en locations de courtes durées, à défaut de pouvoir en faire des locations touristiques. Avec des contrats allant d’un à onze mois, ces logements attirent particulièrement les « digital-nomade s» et autres professionnels en déplacement plusieurs semaines dans la capitale catalane.

Une opération légale qualifiée « d’expulsions silencieuses » par les associations de quartiers. Dans le centre de la ville, les habitants de l’immeuble moderniste appelé Casa Orsola sont sommés de partir à la fin de leur bail, depuis le rachat de leurs appartements par un fond d’investissement. Deux appartements ont déjà été convertis en location de courte durée à 2 200 € pour 80 m2, sans compter les frais d’agence de 2 000€ minimum.

Josep Torrent paie lui un peu plus de 700 € pour son 50m2. Il a eu beau s’allier avec ses voisins pour dénoncer leur cas dans les médias, la justice a donné raison au nouveau propriétaire et un ordre d’expulsion pèse sur lui. « Ces fonds ont tellement de pouvoir qu’ils vont transformer le quartier par des locataires temporaires parce qu’ils ne peuvent plus le faire avec les touristes, mais ils continuent surtout à vouloir gagner beaucoup d’argent, les locataires traditionnels n’intéressent plus », explique ce prof de lycée entre deux cartons.

Interrogée par 15-38, Ada Colau a regretté de ne pas avoir de pouvoir pour aider les habitants de la Casa Orsola et tant d’autres dans le même cas à Barcelone où 40% de la population est locataire et qui compte moins d’1 % de logements sociaux. « La plupart des expulsions aujourd’hui sont le fruit d’augmentations abusives de loyers et de pressing immobilier comme à la Casa Orsola », dénonce-t-elle.

« Au Canada, ils ont interdit que les fonds étrangers achètent des immeubles et aux Pays-Bas, à Amsterdam, dans certains quartiers, on ne peut acheter que si on va y vivre… Ce seraient de bonnes régulations pour éviter la spéculation », ajoute-t-elle en dissimulant à peine un appel du pied au gouvernement espagnol. Et de conclure, comme un nouveau mantra de campagne électorale : « ce qui existe dans la Constitution espagnole, c’est le droit au logement, pas à la cupidité. On doit freiner cette spéculation parce que c’est le futur de nos villes qui est en jeu ».

A Marseille, le procès de la gentrification

A Marseille, en ce dimanche 19 mars, c’est le procès du Caramantran qui se joue lors du carnaval de la Plaine. Derrière un monstre de valises qui engloutit la ville et empêche les habitants de se loger, on juge plus globalement la gentrification. Sur le char, les boîtes à clés Airbnb sont nombreuses, la plateforme californienne est parmi les acteurs visés. Le procès fait écho aux hashtags #vismaviedemarseillaise ou encore #mortauxvalisesàroulettes qui accompagnent depuis plusieurs semaines une campagne d’affichages sur les murs de la ville. Plusieurs collectifs militants se sont regroupés pour lancer cette campagne et ont profité du Carnaval, symbole de contestation populaire à Marseille, pour mettre la question de la gentrification et du développement touristique au cœur de l’édition 2023. Pendant les trois jours précédant la fête, des réflexions, des ateliers, et des actions coup de poing ; comme celle d’aller engluer les serrures des appartements identifiés comme étant des résidences touristiques.

Char du Caramantran à Marseille le 19 mars 2023 – monstre à gentrification de la ville.

« Depuis 2020 et l’épidémie de Covid, le nombre de ces locations «explose” dans la ville », explique Patrick Amico, élu au logement de la ville de Marseille. Or depuis 2016, une loi permet de délivrer un numéro unique d’enregistrement pour chaque bien loué. Jean-Claude Gaudin et sa majorité ne l’avaient pas mis en place. Un changement de mandature plus tard, en 2021, une délibération est votée au Conseil municipal afin de mieux encadrer les locations touristiques dans la ville. Environ 9 000 sont comptabilisées par la Mairie, elles seraient 12 000 selon certains chercheurs, avec des disparités selon les secteurs et des quartiers où les boîtes à clé ont envahi les hall d’entrée. 

A quelques encablures du Vieux Port, le Panier, quartier historique du centre-ville, est devenu un passage obligé des croisiéristes qui envahissent régulièrement la ville le temps d’une visite au pas de course. Dans ce quartier, les prix des logements augmente. Un T2 loué 600 euros par mois peut, dans certains quartiers du centre-ville ou du bord de mer, être loué une somme équivalente pour une semaine seulement. « Le calcul des propriétaires est rapide », reconnaît Patrick Amico. Lise était locataire d’un appartement trois pièces. Elle a dû quitter son logement car son propriétaire souhaitait le vendre. Avec les nouveaux acquéreurs, il est devenu location touristique, comme la quasi-totalité des appartements de l’immeuble. 

Une étude menée par le site Compare Market a recensé le prix mensuel moyen d’une location Airbnb dans 90 villes du monde. Plusieurs villes méditerranéennes arrivent en tête du classement. Parmi elles, Tel Aviv en Israël, avec le 5ème tarif le plus élevé. Un propriétaire peut gagner 243% de plus qu’avec une location classique. Dans les 25 premières villes du classement on trouve notamment Mugla et Antalya en Turquie, Le Caire en Égypte ou encore Marrakech au Maroc. 

En 2019, des collectifs venus de toute l’Europe se sont réunis à Séville, en Espagne, pour parler touristification et logements saisonniers. Au regard des témoignages marseillais sur la question, les militants espagnols lançaient déjà l’alerte tant la situation décrite leur rappelait celle de Barcelone quelques années en arrière. « Agissez avant qu’il ne soit trop tard », avaient-ils conseillé aux Marseillais.

Verdict lors du procès de la gentrification à Marseille – mars 2023

Sur les murs de la ville ces derniers mois, une résistance multiforme apparaît. Outre les affiches militantes au graphisme travaillé, banderoles bricolées et tag en colère sont venus fleurir les murs du Panier. Lola, qui a toujours vécu au Panier, va quitter le quartier pour s’installer avec son compagnon. Elle laisse à regret son logement mais plutôt que d’abandonner le bail à loyer défiant toute concurrence aujourd’hui, elle préfère le garder à son nom et sous louer l’appartement à des amis ou connaissances qui ont des difficultés à accéder au logement. Dans les discussions, outre l’aspect financier, ce qui ressort c’est aussi un ras-le-bol des incivilités et nuisances sonores : « Notre cour l’été c’était un havre de paix, témoigne Patrick qui vit dans le quartier depuis plus de 10 ans. Maintenant dès les beaux jours, les fêtes s’enchaînent dans les appartement loués à la semaine ou la nuitée. On a beau faire des remarques, les gens partent et viennent, ça n’a pas d’effets ». C’est aussi cela que la municipalité entend contrôler, même si l’élu au logement reconnait quelques limites du côté des prérogatives de la police municipale. Patrick Amico s’engage néanmoins à faire remonter les plaintes à la plateforme californienne. La Mairie réfléchit également à de nouvelles mesures (voir notre entretien).  Sur la place Jean Jaurès où sont réunis les carnavaliers, le verdict est tombé : Caramantran est condamné au bûcher, une décision accueillie sous les applaudissements et les clameurs par une foule qui reprend en cœur : «Au bûcher, au bûcher !».