Ultima Generazione : « Nous devons agir, sinon nous sommes complices »

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Mis à jour le 23/01/2023 | Publié le 16/01/2023
Blocages de route, peinture déversée sur le Sénat italien : ce sont des actions du groupe Ultima Generazione, un mouvement d’action directe non-violente né en Italie fin 2021. Ses membres prennent le risque d’être arrêtés, voire condamnés, pour demander aux gouvernements de faire face à l’urgence climatique. Entretien avec Chloé, l’une de ses membres actives.

Action de militants d’Ultima Generazione en décembre 2022

Quelle est la particularité d’Ultima Generazione par rapport à d’autres organisations de militants du climat ?

Ultima Generazione est né d’une séparation avec le mouvement Extinction Rebellion en 2021. Notre stratégie est très précise. Nous nous appuyons sur des théories sociologiques pour demander des changements législatifs pour une baisse des émissions de gaz à effet de serre. Dans ce cadre, Ultima Generazione est membre du réseau A22 qui réunit des organisations de différents pays ayant la même demande (Dernière Innovation en France, Just Stop Oil en Grande-Bretagne, ou Letze Generation en Allemagne, ndlr). Nous avons aussi fait le choix de laisser de côté l’obsession d’horizontalité dans les décisions qui est souvent la règle dans ce type de mouvement. À Ultime Generazione, un groupe est en charge d’élaborer une stratégie cohérente qui sera mise en place par des groupes de travail.

Notre objectif est de transmettre des demandes précises à travers des actions qui dérangent le grand public conduites sur une longue durée, afin de créer une pression sur les gouvernements ; par exemple, le blocage des routes. Cette méthode fonctionne car cela engendre en Italie de plus en plus de conversations et de couverture médiatique.

Quelles sont par exemple les demandes que vous portez ?

Nous portons les points de vue des scientifiques et des faits face à un gouvernement qui ne respecte pas ses engagements afin de limiter une catastrophe inévitable. Nous demandons par exemple d’arrêter de financer les énergies fossiles comme le charbon ou le gaz. Ces énergies sont encore soutenues par les finances publiques. Nous demandons que cet argent soit réinvesti dans les énergies renouvelables.

Vos actions sont souvent la cible de critiques car elle touche le grand public directement, n’est-ce pas difficile de convaincre et de rallier à vos idées dans ce contexte ?

Notre but n’est pas de sensibiliser les gens. Tout le monde est déjà au courant que le réchauffement climatique est en cours. Les scientifiques et même le secrétaire général de l’ONU le disent. Mais au quotidien, on se déconnecte de cette réalité et on continue de vivre comme si on ne voyait pas. Nous voulons refermer le gouffre qui existe entre ce quotidien et cette réalité dramatique. Nous voulons déranger. Comment arriver à se regarder dans la glace et se dire que nous n’avons rien fait face à ce qui se passe ? C’est un moment historique important. Nous devons agir, sinon nous sommes complices. Les gens ne sont parfois pas d’accord avec nos méthodes, mais ils sont d’accord avec le propos. En créant une conversation nationale à travers nos actions, nous rompons la routine même si c’est polarisant. Cela crée plus de dialogue et de débat.

La révolution contient, on l’a vu souvent dans l’histoire, une forme de violence. Pourquoi avoir fait le choix de l’action non-violente ?

Les raisons qui nous mènent à l’action non-violente sont de deux ordres : stratégique et moral. Stratégique, car les actions non-violentes sont plus inclusives, elles permettent d’inclure des enfants, des personnes âgées, quelque soit la réponse des autorités ou des personnes dérangées qui, elle, peut être violente. L’histoire a montré que les mouvements non-violents ont deux fois plus de chance d’aboutir et de laisser place à une situation non-violente par la suite, c’est cela aussi que nous visons.

Par ailleurs, du côté moral, nous nous inspirons du mouvement de désobéissance civile porté par Gandhi en Inde. Nos valeurs sont celles de l’amour et de la vérité. L’amour pour les enfants d’aujourd’hui et la vie dans ce monde.

Cette lutte implique de s’investir jusqu’à risquer l’arrestation voire la condamnation, cela veut-il dire, aussi, laisser de côté sa vie personnelle ?

Impossible de dire le contraire. Nous ne faisons pas ce choix inconsciemment. Nous prenons des risques légaux, certaines personnes s’éloignent de nous. Cela peut aussi être difficile de retourner à une vie plus mondaine, superficielle. J’étais moi-même danseuse, j’ai mis de côté cette vie-là. Ce n’est pas facile mais je vis en cohérence avec ce qui est en train de se passer au regard de la catastrophe.

Avez-vous noté des changements depuis le début de votre mobilisation ?

En France, en octobre 2022, l’Assemblée Nationale avait voté en faveur de crédits pour la rénovation des logements. Une demande défendue notamment par le mouvement Dernière Innovation, une organisation membre du réseau A22 comme nous. Malheureusement, le gouvernement a bloqué cette partie du budget en ayant recours à l’article 49.3 de la Constitution française et a donc empêché le changement. C’est un véritable problème démocratique mais cela montre que des changements sont possibles et voulus par nos représentants et les citoyens.

Face à l’ampleur des enjeux, une lutte concertée entre mouvements au-delà des frontières nationales est-elle possible, y compris autour de la Méditerranée ?

Nous sommes membres d’un réseau de désobéissance civile qui demande des changements législatifs pour baisser les émissions. Toute organisation qui défend ces idées peut nous rejoindre. Nous avons des moments d’échanges entre organisations, nous partageons nos visions stratégiques, nous mettons en place des actions communes, comme celle visant des œuvres d’art dans plusieurs musées récemment*. Le 2 janvier, en Italie, nous avons repeint le Sénat, et Dernière Innovation a fait de même en France. Notre réseau est aujourd’hui présent dans 10 pays en Europe mais aussi aux États-Unis, en Australie ou en Nouvelle-Zélande. Notre volonté est d’inclure plus de pays de différentes zones du monde.

Cet engagement est-il une question de génération ?

Pas forcément. Notre réseau compte des jeunes mais aussi des retraités qui souhaitent s’impliquer. Finalement, ce sont plus les personnes autour de 40 ans qui sont les moins présentes car c’est une période de la vie où la pression sociale est forte : enfants, carrière, etc.

Ultima Generazione (Dernière génération), c’est pour dire : nous sommes les dernières générations qui pouvons faire quelque chose. Toutes les générations avant ont rejeté cette responsabilité sur les prochaines. Nous voulons être la dernière à agir de cette manière. C’est une question de solidarité intergénérationnelle. Nous recevons quand nous naissons quelque chose de nos parents et de nos grands-parents que nous offrons aux générations d’après. La responsabilité est énorme. Aujourd’hui, nous laissons un monde pourri aux nouvelles générations. L’anxiété climatique des jeunes générations est dramatique.

Malgré cela, gardez-vous l’espoir dans la lutte ?

L’espoir n’est pas mon moteur. Ce qui me fait bouger, c’est la volonté d’être ancrée dans la vérité morale et pas dans la facilité. Il serait absurde d’avoir de l’espoir en ne faisant rien. En agissant tous les jours et en réunissant de plus en plus de gens, c’est ça finalement qui me donne de l’espoir.

* En juillet et octobre 2022, des militants membres du réseau A22 ont visé plusieurs œuvres d’art en s’y collant la main, dont une peinture de Botticelli en Italie et une œuvre de Van Gogh en Grande-Bretagne. L’objectif est d’interpeller et de faire passer leur message dans les médias.